Une prison très privée

19 Juin 2016

À la suite de Diderot, il est toujours utile de relever combien monastère et prison se rapprochent en leurs modalités de réclusion. Cette proximité se vérifie encore dans l’actualité que rapporte un communiqué de l’Agence France Presse, repris dans les titres du Parisien « Morbihan, un prisonnier chez les bénédictins » et du Télégramme « Plouharnel (56), abbaye de Kergonan, un détenu chez les moines ».

Voici les faits : un entrepreneur sexagénaire, mis en examen pour homicide volontaire, se trouve en instance de passer aux Assises en début de l’année 2017. Se déclarant catholique pratiquant alors qu’incarcéré en isolement au Centre pénitentiaire de Nantes, il vient d’obtenir de la Chambre de l’instruction de troquer son emprisonnement contre une assignation à résidence dans une institution religieuse clôturée ; laquelle accepte de le recevoir comme un « don du ciel »

On comprend volontiers que la surpopulation carcérale – fort regrettable en notre République – puisse conduire les instances judiciaires dans la recherche de palliatifs. Mais le cas d’espèce n’est rien moins qu’une privatisation de l’hébergement d’un présumé innocent entre les mains de spécialistes de la cellule bien fermée et de l’habit de pénitent. En conséquence nos questions affluent : allons-nous perdre la laïcité de la justice dans la foulée de ce qu’on constate dans l’enseignement ? L’État devra-t-il être redevable aux religieux ? L’Inspectrice des lieux de détention aura-t-elle accès aux recoins de la bâtisse conventuelle aux heures de matines ? Dans l’éventualité d’une condamnation, le temps de séjour à l’abbaye viendra-t-il en réduction de peine ?

Dans leur promotion, les moines développent une image bucolique : le pensionnaire est employé au jardin, pour un travail encadré par deux frères, contribuant ainsi à sa propre charge. Mais regardons de plus près. Le jardin abbatial est en fait une exploitation agricole qui commercialise ses produits sous l’appellation « les légumes de Frère Isidore » … Alors, l’assigné au jardin reçoit-il un bulletin de salaire décomptant les reversements à la CSG ? à défaut, le portail grillagé devrait-il porter l’inscription délétère « Le travail rend libre » ?

Selon l’AFP, l’avocat de l’entrepreneur expose deux arguments en faveur de son client : d’une part l’incarcération n’est qu’une alternative qui n’assure pas la mise en parfaite sécurité du justiciable, d’autre part l’enfermement n’est pas une bonne préparation physique et morale à la présentation devant un jury populaire. Deux affirmations bizarres, auxquelles on peut répondre :

Les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire – qui pourraient se sentir ainsi désavoués – sont soumis à un recrutement sélectif et une formation spécialisée, de même qu’à une enquête de sécurité poussée ; ce qui les qualifie pour gérer en parfaite neutralité (c’est-à-dire humainement) des situations multiconfessionnelles sans avoir à trier les « pratiquants ». Comparativement, les moines n’ont aucune aptitude certifiée de la sorte. Par exemple, que feraient-ils d’un criminel libre-penseur (à supposer que cette catégorie puisse exister) ? Lui accorderaient-ils seulement le droit au « parloir» dans l’enceinte monastique ?

Les clôtures abbatiales ont été conçues pour freiner les ardeurs de moinillons fugueurs. En revanche, elles ne peuvent arrêter des représailles venues de l’extérieur : un sicaire saura toujours les franchir, sans parler d’un bon tireur ! Le potager de Kergonan n’est pas un quartier de haute sécurité. Et quand on sait que la Maffia peut parvenir au cœur du Vatican …

Il n’est pas nécessaire de détenir un « certificat de repentance et jardinerie réunies » pour avoir seulement à dire la vérité à un tribunal. On ne passe pas aux assises comme on se préparerait à affronter le jury du concours de la magistrature ou la conférence des avocats. De surcroît, on n’attend pas de bénédictins qu’ils aient à se conduire en parrains de détenus ; car en fait on ne leur demande rien.

Quittons Plouharnel, et par hypothèse d’école, imaginons de toute pièce la situation suivante : comme venu du ciel, un criminel fortuné fait un don substantiel à une communauté religieuse quelconque, qui l’accueille pour échapper à la prison. Ce petit commerce pourrait alors s’appeler  « vente de stage de formation préparatoire à un passage en jugement ». On imagine alors les conseils prodigués : « Prenez un habit sobre », « Adoptez un peu de componction oratoire », « Montrez votre repentir sincère », « Surtout, demandez pardon »… « Ne craignez pas l’hypocrisie, croyez-le ».

Poussons encore la réflexion : quand une abbaye  sera confirmée dans sa capacité à recevoir des détenus (ce que nous ne souhaitons pas), ne verrons-nous pas tous les curés pédophiles solliciter le Juge d’application pour obtenir leur admission dans un lieu sûr et tellement adapté à leur cas ? L’honneur de la République sera alors d’éviter à ces infâmes de tomber dans pareille trappe de redressement. Une fois condamnés et purgeant leurs peines, et pour les protéger, les curés criminels ont parfaitement droit à l’espace public d’une prison laïque. Et même au « parloir », avec leurs conjoints majeurs.

Bernard  FAVOT

Références :

Communiqué AFP du 01 mars 2016.

Le Parisien 06 mars 2016.

Le Télégramme  03 mars 2016.

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