Un conte philosophique au zinc

19 Sep 2017

Au p’tit comptoir

Comme chaque matin, j’étais accoudé au zinc du « P’tit Comptoir » où je sirotais un grand noir, tout en époussetant des miettes de croissant qui envahissaient le plastron de mon polo et la tablette du zinc, quand entra mon vieil ami Roger.

Roger est un homme de conviction, esprit libre, penseur critique, sceptique assumé et grand pourfendeur de l’engeance bigote, comme il dit. J’aime sa conversation toujours pleine de bons sens mais aussi instructive, car son insatiable curiosité lui fait explorer mille choses, dont il nous fait profiter pour notre plus grand plaisir.

Alors Roger ? Quoi de neuf depuis qu’on s’est vus ?

Salut ! Patron un petit noir, bien serré, s’il te plaît et sans croissant. Je ne veux pas ressembler à un goret comme l’ami Gilles.

Ah ! C’est malin et aimable… dis-nous plutôt les résultats de ta dernière gamberge.

Il boit à petite gorgées son café tout en prenant l’air pénétré de qui va précéder des révélations.

Tu seras peut-être d’accord, dit-il, avec tous les intellos à la mode pour souhaiter que l’islam fasse sa révolution, accède enfin aux Lumières,..

Sans doute. Les Lumières ont permis à l’Europe, dès la Renaissance, de secouer le joug du christianisme et de s’émanciper peu à peu de l’Église. On y a gagné l’autonomie des sciences, l’essor de la philosophie, une relecture laïque de la morale et de l’éthique, puis, bonnet phrygien sur Marianne, la loi de Séparation de 1905. On ne peut pas dire que l’islam en soit là, ni même qu’il y soit en chemin.

C’est ce que tu crois et tu n’es pas le seul. En réalité, ce n’est qu’un effet d’optique, à moins que ce ne soit tout bonnement un aveuglement.

???!!!

Je t’explique. Tu seras d’accord avec moi pour dire que le christianisme, dès qu’il devint assez puissant pour conquérir Rome et le pouvoir politique, via le conversion, en 313, de Constantin d’abord, mais surtout grâce à l’abominable Théodose qui fit du christianisme la religion officielle et unique (un roi, une foi, une loi) et stipula, dans un édit de 380, « Tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre ». Avec en prime, ne l’oublions pas, l’ouverture de la chasse aux païens, la destruction des temple ou leur reconversion en églises, la fermeture des école de philosophie etc… L’obscurantisme s’abat alors sur le monde romain d’Orient comme d’Occident.

Oui ! D’ailleurs, en 415, une bande de moines fanatiques, escortée de la populace chauffée à blanc, saccage la grande Bibliothèque d’Alexandrie et met en pièce Hypathie, mathématicienne, philosophe et astrologue, directrice de l’école néoplatonicienne.

Exact ! Et ça virera à l’obsession. La grande affaire d’un Augustin, par exemple, sera de faire taire les « académiciens » au prétexte qu’ils professent le scepticisme, lequel sème le trouble dans les esprits. Il précise, dans « La Cité de Dieu », que la soif de connaissance est une forme de concupiscence au même titre que la soif de la chair ou celle du pouvoir. Autrement-dit : « Soyez aveugles aux choses que vous ne comprenez pas, seule la foi sauve les âmes. Croyez et fermez-la ».

En effet, c’est l’idée, même s’il ne la sans doute pas formulée ainsi. Les clercs, les seuls pratiquement à savoir lire et écrire, dominaient le monde du savoir, mais reconnaissons qu’ils ont pu accéder aux écrits anciens et à la pensée antique et ce n’est pas complètement innocent. Les meilleurs d’entre-eux ont conservé et transmis.

Sans doute, mais le mantra central reste : la philosophie et la science sont toutes deux servantes de la foi. Point final… Et il faudra attendre la Renaissance et les Lumières des 17è et 18è siècles pour déverrouiller tout ça.

OK ! Mais dis-moi, tu parlais tout à l’heure, à propos des Lumières et de l’islam, d’illusion d’optique sinon d ‘aveuglement. À quoi faisais-tu allusion ?

Voilà. Entre le christianisme et l’islam il y eu un immense gouffre quant à l’appréhension qu’ils eurent, à leur début, par rapport à la science et à la philosophie. L’islam des premiers siècles les a choyés… On vient de dire tout le mal qu’on pense du christianisme sur le sujet.

???!!!

Si, si ! Il faut se rappeler que la fulgurante conquête, entre 632 et 750, a abouti à un immense empire allant de l’Iran à l’Espagne et cet empire fut gouverné, à ses débuts, par des califes éclairés (Omeyyades et Abbassides, entre autres) qui choyèrent et impulsèrent les sciences et la philosophie. De fait, ils dénièrent au Coran d’être la source de tout savoir et créèrent des « Maison de la Sagesse » à Bagdad, au Caire, à Fés ou à Cordoue. Ce furent de véritables universités avant la lettre. On  y amassa nombre de manuscrits, grecs et autres, venus d’Alexandrie, d’Ispahan ou de Harran, où les philosophes grecs s’étaient réfugiés, fuyant la persécution chrétienne. Ce fut un âge d’or pour la philosophie, la médecine, les mathématiques, l’astronomie etc. Les Arabes firent leurs le calcul, importé d’Inde avec le zéro, la boussole et le papier, venus de Chine. J’en passe.

Quid du Coran, alors ?

C’est là que le bât a fini par blesser. La grande question, longtemps sous-jacente, a fini par se poser de manière aiguë, quant à la coexistence des sciences, de la philo et du Coran.  Qui du Coran ou des autres devait l’emporter ? Le combat peut être résumé de la manière suivante en suivant les opinions de différents penseurs, au fil du temps. Pour al-Fârâhi ou Avicenne, la raison est seule juge de la vérité et n’a pas à se soumettre à un texte sacré. En réaction, plus tard, le mystique soufi, al-Ghazâli, soutiendra que la foi est seule capable d’éclairer le croyant sur le droit chemin, la raison étant source d’égarement. Un siècle plus tard, Averroès  argüe, au contraire, que la raison n’est, en aucune manière, un auxiliaire de la foi, mais qu’elle prime sur elle.

Bien dit, mais quand les religieux ont-ils fini par triompher ?

Cela a commencé dès le 11è siècle, en Andalousie où les communautés juives et chrétiennes ont été sommées de se convertir ou de partir, une sorte de pré-Reconquista, en somme. Averroès fut accusé d’hérésie et exilé au Maroc où il mourut. On retira ses œuvres de bibliothèques, de même que les œuvres d’autres penseurs « hérétiques », évidemment. Mais l’ultime catastrophe fut l’invasion mongole, de laquelle on doit la destruction de la maison de la sagesse de Bagdad en 1258. Le reste fut à l’avenant : ulémas, imams et autres ayatollahs s’emparèrent des esprits et les mirent sous la férule.

Si je t’entends bien, ce fut la fin des Lumière en terre d’islam.

Oui, mais heureusement, c’est aussi le début de la transmission et de l’éveil de l’Europe chrétienne. Tu connais la suite, elle a nom Lumières, Encyclopédie, décollage des sciences dures comme des sciences humaines.

Et je comprends aussi pourquoi tu parlais d’effet d’optique ou d’aveuglement. En fait, l’islam, à la différence du christianisme, a commencé par les Lumières, mais son foutu bouquin a fini par le plonger dans les ténèbres.

C’est ça !

Patron remets-nous deux petits noirs, bien serrés. Ristretto, quoi !

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2 Commentaires

  1. Keeryan O'Cankly

    Voici une conversation fort édifiante mais qui tient davantage de la narration historique que du conte philosophique. La philosophie, qui donne à réfléchir, n’a, en effet, pas de rapport avec la religion, qui impose. J’aimerais compléter les précieuses informations fournies en me référant à Mustafa Kemal Atatürk (1er président de la république turque, 1881-1938) quant à la dangerosité de l’islam depuis ses origines: « L’islam, cette théologie absurde d’un bédouin immoral, est un cadavre putréfié qui empoisonne nos vies. » et non pas seulement depuis seulement 1258.
    Et TOUTES les religions, croyances et sectarismes sont à l’avenant. De l’animisme qui a mutilé et mutile des dizaines de millions de femmes au bouddhisme qui a organisé le carnage des Tamouls au Sri Lanka et qui le poursuit au Myanmar (Birmanie) à l’encontre des Rohingyas.

    • Gilles Poulet

      Vous avez tout à fait raison, mais la titraille « conte philo etc. » n’est pas de moi. Cela dit, je vais sans doute faire du « P’tit Comptoire » une rubrique récurrente et je demanderais alors à notre excellent camarade webmestre de ne pas titrer indûment « conte philo », car en effet, ce sera des dialogues qui, je l’espère, rendront les problèmes abordés plus attrayants. L’ADLPF, comme tout un chacun est engagée dans la batille médiatique et la « danse du ventre » que cela implique.
      Merci de votre observation.

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