2084, sous-titré La fin du monde

17 Déc 2015

Note de lecture:                            2084, sous-titré La fin du monde.

de Boualem SANSAL

NRF Gallimard 19€50

Avec « 2084 », Boualem SANSAL nous donne à suivre les aventures d’Ati, un habitant de l’immense empire de l’Abistan, en une pérégrination qui l’amène d’un sanatorium perdu dans de lointaines montagnes glacées à la mégapole de Qodsabad, capitale de l’empire.

Son scepticisme, né dès le sanatorium, grandit au gré de ses réflexions, de ses rencontres et des aventures et mésaventures survenues au cours du voyage. Il faut dire qu’Ati appartient à un monde clos, doté d’un livre sacré, le Gkabul, donné par Yölah, le dieu, à son fidèle Délégué Abi, lequel a organisé le monde et la société en les dotant de lois terribles et inviolables. C’est une société de soumission et d’adoration absolues dont il vaut mieux ne pas tenter de s’émanciper car : «  La liberté est un chemin de mort ». D’ailleurs le Gkabul ne dit-il pas : « Il n’est pas donné à l’homme de savoir ce qu’est le Bien et le Mal, il a à savoir que Yölah et Abi œuvrent à son bonheur. » ?

Au sommet de cette société est un Grand Ordonnateur qui énonce cette recommandation, qui est la quintessence même de l’organisation ; « Ne cherchez pas à croire, vous risquez de vous égarer dans une autre croyance, interdisez-vous seulement de douter, dites et répétez que ma vérité est unique et juste… ». Il n’y a de dieu que Yölah et Abi est son fidèle Délégué. Air connu ?

L’Abistan est un empire où prospèrent les privilégiés du régime/système – les religieux et les grands commerçants fortunés – et qui entretient la tension permanente par la guerre sainte – invention de l’Ennemi, Balis, « Car la religion s’appauvrit si rien ne vient la malmener » – par la prière obligatoire, sept fois par jour, dans des mockbas qui quadrillent le pays, par le flicage systématique – « La foi commence par la peur et se poursuit par la soumission » – et la misère endémique.

Abi, en fin politique, a donné à l’Abistan, outre le Gkabul, l’appareil symbolique nécessaire à son entreprise totalitaire : la Kiiba sacrée, la Cité de Dieu, où vivent les choyés du régime, la hiérarchie adéquate et intouchable des Honorables et une ribambelle d’institutions et de structures répressives, de cafardage et d’exécutions publiques, qui terrorisent les hommes et quadrillent les choses et le territoire. Mais son coup de génie, c’est l’invention d’une langue, l’abilang, qui sert de chloroforme sémantique au langage et se substitue aux langues anciennement parlées et dorénavant interdites.

Ati, peu à peu, prend conscience de cette aberration vivante et de son inanité et, grâce à sa rencontre avec un quasi antiquaire, Toz, bien en cours auprès du nouveau patron de l’Abistan, parvenu au sommet grâce à un maître complot suivi d’implacables massacres – les Honorables ne sont pas parfaits ! – il parvient à s’exfiltrer de cet enfer sur terre au-delà de la Frontière – une notion niée par la doxa abilandaise. Là finit son histoire et nous n’en saurons pas plus.

Ce roman se lit d’une traite tant résonnent des échos furieusement contemporains, nonobstant l’avertissement de l’auteur : « Le lecteur se gardera de penser que cette histoire est vraie ou qu’elle emprunte à une quelconque réalité connue. ». Sansal y déploie une ironie roborative et des trouvailles linguistiques quand même transparentes…

Pour conclure, citons l’exergue du roman : « La religion fait peut-être aimer Dieu, mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’Homme et haïr l’Humanité. ». C’est clair, non ?

Gilles Poulet

Décembre 2015

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