Continuité de l’Etat ?

8 Mar 2009

Nous sommes tellement habitués à l’existence de l’Etat que nous avons du mal à imaginer son inexistence. Sa suppression semble une utopie anarchiste.

Pourtant, il y a quelques années un ami syndicaliste allemand m’interpellait en me disant que dans sa jeunesse il avait connu l’absence d’Etat. C’était dans une Allemagne dépecée en zones d’occupation à la fin de la guerre. Ce fut pour moi une révélation car je n’avais jamais envisagé cette situation.

Cela n’avait pas été l’anarchie cependant. Le contexte était à la reconstruction politique après le nazisme et la dénazification, sous tutelle des autorités alliées. En 3 ou 4 ans cela aboutit à de nouvelles formes d’Etat. A l’Est et à l’Ouest, sous l’influence des forces alliées, après cette discontinuité, une autre organisation administrative et politique se fit jour, qui se rattacha à l’histoire d’avant Hitler.

Mon propos n’est pas de comparer les formes d’Etat et d’organisation de celui-ci. Non plus d’étudier la situation en Allemagne entre 1945 et 1949. Je voudrais poser la question du rapport à la morale des décisions prises quand il y a effondrement de l’Etat. Je voudrais examiner deux cas particuliers qui posent problème, l’un de rupture, l’autre de continuité.

L’exemple le plus récent qui vient à l’esprit est l’Irak. Laissons de côté la question, pourtant importante, de l’opportunité de l’attaque décrétée par W. Bush. Passons aux suites…

En représailles aux crimes de Saddam Hussein et à sa dictature sanglante, les cadres du parti Baas, sur lesquels il s’était appuyé, furent écartés, l’armée et la police furent dissoutes également. La morale triomphait car la dictature avait reposée sur ces piliers.

Mais, faute d’une police et d’une armée irakiennes qui intervienne pour assurer l’ordre, l’armée qui devait être de « libération » est devenue alors une armée « d’occupation. » Les forces des USA ne purent pas s’appuyer sur une organisation administrative locale, compétente et opérationnelle. Le décalage apparut tout de suite entre « l’efficacité » militaire des GI et le sentiment de perte de leur identité nationale des populations.

Elles devinrent dociles à suivre les opérateurs (anciens partisans écartés de Saddam Hussein ou chiites en charge de revanche contre les sunnites) qui les dressaient contre les étrangers… et ne furent pas sensibles à l’accession promise à une démocratie dont elles ignoraient le sens.

Il n’y avait plus d’Etat irakien : les oppositions religieuses que la dictature antérieure avait écrasées, les oppositions ethniques (kurdes et arabes) reparurent et l’anarchie (littérale) se fit jour, avec des attentats pour imposer une suprématie religieuse et politique… Les kurdes essayant de rester hors de cette querelle… en rêvant d’un Kurdistan qui vivrait de la richesse pétrolière et qui leur donnerait l’indépendance économique.

Les querelles, l’insécurité et la surenchère intégriste musulmane ont fait fuir les chrétiens chaldéens, qui vivaient en Irak avant l’islam… qui se sentaient menacés et ont été victimes d’attentats. Le nouvel Etat irakien ne sera pas tolérant en matière religieuse !

Les occupants Etats-uniens ont du relancer une police et reconstituer une armée, avec les cadres anciens, faute d’autres. Ceux qui avaient été privés de solde et de ressources à la fin de la guerre, humiliés, sont devenus indispensables après, mais réfutés par les factions qui avaient pris le pas sur l’autorité, réputés maintenant traîtres et collaborateurs !… Ce qui avait été détruit est malaisé à refaire 6 années après…

Le vide créé par une épuration radicale à la fin de la guerre a entrainé en Irak le chaos social et le déclanchement des conflits tribaux. Difficile dans cette situation de refonder une administration nouvelle, imposée par des étrangers.

Notre réflexion remonte maintenant au plan français. A la fin de la guerre, en 44-45, les administrations et les services administratifs fonctionnaient avec des cadres qui avaient fait allégeance à Vichy. Si certains avaient participé individuellement à la Résistance (pas tous), surtout vers la fin de la guerre, la plupart avaient été très zélés de Vichy à leur poste.

Pourtant, le gouvernement provisoire chargé de rétablir la République les maintint en fonctions (sauf rares exceptions), encadrés par des « Préfets » issus de la Résistance. Si cela a indigné souvent au sens moral ceux qui y ont réfléchi, ce fut un moyen réaliste d’empêcher l’absence d’Etat, et la rupture de la continuité dans la gestion publique. Les conséquences politiques furent tirées mais sur une base administrative qui restait solide.

Un cas analogue est celui de la transition après Franco en Espagne.

La morale ne retrouva pas toujours son compte (voir le cas Papon), mais le réalisme prépondéra et empêcha alors le chaos qu’aurait entraîné le changement de tous les fonctionnaires. Une certaine continuité s’établit et personne n’eût alors, dans l’euphorie de la Libération, le sentiment d’une absence d’Etat.

S’il y eût épuration et règlements de compte, il n’y eût pas de vacance du pouvoir ni vide administratif et le retour des institutions républicaines, régénérées par le Conseil National de la Résistance (CNR), se fit normalement.

Conflits entre morale politique et réalisme de gouvernance ?… On pourrait aussi voir l’aptitude pour des fonctionnaires à s’adapter à des régimes différents quand la volonté politique est forte pour orienter ces changements…

Raymond BELTRAN

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