L’athéisme de Sade

29 Avr 2009

« Dieu est le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme »

Donatien Alphonse François marquis de Sade (1740-1814), écrivain, pamphlétaire, théoricien d’une révolte absolue contre la société et les religions, a fait couler beaucoup d’encre depuis deux cents ans. Sa philosophie mal comprise, sa vie dissolue due à ses puissants besoins érotiques, et ses écrits d’une violence suffocante, ont été résumés d’un mot : sadisme, et il a toujours été considéré comme le monstre de la littérature française. Ses frasques sexuelles, bien réelles, ne justifiaient pas une réputation aussi sulfureuse. Une fois de plus son époque a confondu l’écrivain et ses personnages, et la confusion dure encore aujourd’hui. S’il a passé trente ans de sa vie dans des cachots c’est plus parce qu’il dilapidait la fortune de sa famille en fêtes coûteuses que du fait de ses dérèglements érotiques. Bien que révolutionnaire (secrétaire de la section des Pique en 1792) Il était suspect même aux yeux des robespierristes du fait de son athéisme opposé au culte de l’ « Etre Suprême » (le «Grand Architecte » pour certains francs-maçons) ; son origine aristocratique n’arrangeait pas son cas.

« Qu’on examine avec attention les dogmes absurdes, les mystères effrayants, les cérémonies monstrueuses, la morale de cette religion dégoûtante et l’on verra si elle peut convenir à une république…Que les blasphèmes les plus insultants, les ouvrages les plus athées soient autorisés pleinement afin d’extirper dans le cœur et la mémoire des hommes ces effrayants jouets…Oui détruisons à jamais toute idée de Dieu ! » (1)

Sade est un libertin qui tente de se justifier philosophiquement. L’univers sadien affronte et transgresse sans cesse un ordre social d’essence divine. La nature est indifférente, sans dessein, hasardeuse, criminelle, avec ses forts et ses faibles qui opèrent une sélection impitoyable, on serait tenté de dire que c’est du pré-darwinisme ! En effet la clé de son athéisme réside dans son rapport personnel à la nature, son libertinage et sa débauche littéraires sont autant d’outrages envers cette nature et sa perception présumée sacrée.

« S’il était vrai qu’il y eût un Dieu, maître et créateur de l’univers, ce serait l’être le plus bizarre, le plus cruel, le plus méchant et le plus sanguinaire ; nous n’aurions pas en nous assez d’énergie pour le haïr, pour l’exécrer, pour l’avilir et le profaner » (2)

Sade lisait beaucoup à la Bastille et son œuvre est imprégnée des écrits matérialiste de La Mettrie et de D’Holbach. Bien que révolutionnaire, opposé farouchement à la royauté, c’était un adversaire résolu de la peine de mort, la guerre et ses carnages lui étaient odieux, attitude rare et incomprise à son époque. Cependant il prenait au pied de la lettre le principe que tous les goûts sont dans la nature ; il interpelle Dieu en ces termes :

« Quant à moi, j’en conviens, l’horreur que je te porte Est à la fois si juste, et si grande, et si forte, Qu’avec plaisir, Dieu vil, avec tranquillité… » (3)

J’évite délibérément la suite, au cours de laquelle Sade fait subir à « Dieu » les débauches sexuelles les plus outrageantes !

Cet excès de radicalité veut faire tomber les divinités de leurs socles, laissant l’homme face à lui-même, face à sa vérité, privé des béquilles vermoulues de la religion. Le vertige nous prend devant le gouffre d’amoralité/immoralité qu’il nous oblige à scruter.

Pour Guillaume Apollinaire Sade est « l’esprit le plus libre qui ait existé ». André Breton en fait, avec des réserves, un révolutionnaire dégagé de toute contrainte sociale ou morale. Pour Klossowski (suspect de crypto-mysticisme par les surréalistes) la présence constante de la sodomie dans l’œuvre de Sade est un geste de dérision envers l’acte « sacré » de la procréation, une transgression de l’ordre naturel par l’ affirmation d’un matérialisme absolu. Pour Annie Le Brun : « Sade affirme carrément que la disparition de l’humanité ne changerait pas plus la marche de l’univers que la disparition d’une fourmi ». D’autres auteurs, plus marginaux, ont avancé l’idée d’un gigantesque canular, un monument d’humour noir ! Léo Campion, régent de rétrophysiognomonie, loue en lui un pataphysicien avant la lettre ! De plus il soutient la thèse d’un Sade franc-maçon, ce qui, avec le grand respect que j’ai pour mon bon maître Léo, me semble bien improbable. (4)

Sade nous arrache les justifications religieuses, morales, sentimentales, juridiques, dont nous camouflons les plus suspects de nos désirs et de nos fantasmes. Par l’extrême violence de ses textes il nous fait basculer dans l’abîme du doute, dans le marécage de notre identité réelle et de nos certitudes bien-pensantes. Il nous dépouille de ces croyances, parfois inconscientes, qui nous interdisent le rejet absolu des mythes irrationnels (diables et dieux) qui hantent parfois notre subconscient. En mettant en œuvre des nobles corrompus, des abbés lubriques, des cardinaux dépravés et même le pape, dans des orgies systématisées, il n’a pas un but d’érotisation, ce n’est pas un écrivain grivois ou pornographe, l’outrance et la monotonie du propos en sont la preuve, mais il est possédé d’une volonté de blasphème volcanique que les Libres Penseurs, sous des formes différentes, revendiquent encore et toujours au nom de la liberté.

Voici un extrait de : « Dialogue entre un prêtre et un moribond » (5)

Le prêtre – Le créateur est le maître de l’univers, c’est lui qui a tout fait, tout créé, et qui conserve tout par un simple effet de sa toute-puissance.

Le moribond – Voila un grand homme assurément ! Eh bien, dis-moi pourquoi cet homme-là, qui est si puissant, a pourtant fait une nature corrompue.

Le prêtre – Quel mérite eussent eu les hommes, si Dieu ne leur eût pas laissé leur libre arbitre ? …

Le moribond – A quoi bon, dès qu’il savait le parti qu’ils prendraient et qu’il ne tenait qu’à lui, puisque tu le dis tout-puissant, de lui faire prendre le bon !

Le prêtre – Vous ne croyez donc point en Dieu ?

Le moribond – Non. Et cela pour une raison bien simple : c’est qu’il est impossible de croire ce qu’on ne comprend pas ».

Laissons le mot de la fin à Sade pour exprimer son ultime vision de Dieu : « Etre chimérique et vain dont le seul nom a fait couler plus de sang sur la surface du globe que n’en fera jamais répandre aucune guerre de politique, puisses-tu rentrer dans le néant dont la folle espérance des hommes et leur ridicule frayeur osèrent malheureusement te sortir » (6)

Renvois :

«Français encore un effort si vous voulez être républicains » in « La philosophie dans le boudoir » 1795.

« Histoire de Juliette » 1797, in « Œuvres III », bibliothèque de la Pléiade

« La Vérité » 1787, prison de la Bastille

« Sade franc-maçon », ABI 1972

Prison de Vincennes 1782, in « Œuvres I » la Pléiade

« Fantômes » 1803, prison de Charenton

Nota : l’illustration « Luxure », est l’œuvre de Clovis Trouille

Michel Bottollier – janvier 2008

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1 Commentaire

  1. régis boussières

    Très bon article!!! Il est utile de rappeler que Sade était un très bon écrivain et qu’il avait de nombreux arguments contre les religions et contre Dieu… Il n’était pas façile à l’époque d’assumer son athéisme!!! Je conseille, à ceux qui veulent lire ces textes athées, comme livre « discours contre Dieu » qui est une anthologie des textes athées de Sade (éditions : aden; collection : Opium du peuple »

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