Existe-t-il une « morale laïque ?

4 Oct 2012

ADLPF La Libre Pensée Laïcité Existe-t-il une « morale laïque ?

Intervention au

Colloque de l’Observatoire de la Laïcité de Provence,

 » Laïcité, j’écris ton nom… « ,

du 29 septembre 2012

Alors que des bravos unanimes saluent les cours de morale laïque à l’école, il se trouve peu de monde pour relever, comme nous l’avons fait à l’OLPA quasiment à l’unanimité, l’incongruité de l’expression « morale laïque ».

Que peut bien signifier une morale laïque ?

Souvenons-nous de Sarkozy qui déclarait après son fameux discours de Latran : « je n’ai jamais dit que la morale laïque était inférieure à la morale religieuse.»

Y aurait-il donc une morale laïque comme il y a une morale religieuse ?

Accepter l’idée d’une morale laïque, c’est déjà la distinguer d’autres types de morales, c’est donner à penser que la laïcité serait une philosophie, une idéologie, une doctrine, qui aurait sa morale propre, comme en ont, par exemple, les religions.

Or la laïcité ­ au sens de la séparation d’avec le religieux ­ est ­ c’est ce que nous professons à l’OLPA- un idéal d’organisation de la vie en société ; qui consiste principalement à affranchir les pouvoirs et les services publics de toute emprise religieuse. La laïcité est un cadre juridique qui assure la liberté de conscience et en particulier, on ne le répètera jamais assez, le libre exercice des cultes.

Autrement dit, la laïcité est un contenant ; un contenant qui permet tous les contenus philosophiques, qui permet l’incroyance comme la croyance. La laïcité n’a pas de morale propre, elle donne juste la liberté d’en avoir une !

La Laïcité ne peut donc pas donner son nom à un contenu particulier puisqu’elle les contient tous et les autorise tous.

Qu’est-ce que la morale ? C’est, en résumé, la conscience de nos devoirs d’Homme. Et la laïcité, qui ne fait que permettre le libre épanouissement de cette conscience, serait vraiment mal venue de la diriger ! Sans laïcité, il est probable que la morale serait soumise aux dogmes religieux, aussi respectable soit la croyance des adeptes en ces dogmes, mais peut-on imaginer que la morale soit soumise à la Laïcité ? Non ! D’ailleurs ça n’aurait pas de sens ! Comme n’a pas plus de sens l’expression « morale laïque ».

La morale… celle sur laquelle tous les Hommes peuvent s’entendre, est le produit de l’évolution de la conscience universelle. Elle n’a pas été fondée par la religion.

Démonstration :

Un croyant ­ je ne parle pas d’intégrisme religieux- un croyant fait-il le bien parce que Dieu le lui ordonne ? S’interdit-il une mauvaise action parce que Dieu le regarde ?

Si c’est le cas, il agit en fonction de prescriptions religieuses, non en fonction de la morale : ses comportements, aussi vertueux soient-ils, sont alors dénués de valeur morale.

Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il reconnaît que sa religion s’appuie sur une morale qui n’a nul besoin d’un fondement théologique pour être partagée.

Ce n’est donc pas la religion qui fonde la morale mais bien la morale qui fonde la religion.

En résumé, il n’y a pas de morale vraie sans liberté de conscience. La laïcité permet cette liberté de conscience. Mais il ne peut exister de « morale laïque » !

Car non seulement cette expression « morale laïque » est absurde mais elle est aussi dommageable pour la laïcité ; comment ? en distinguant, au travers de leur morale, deux catégories de citoyens : les uns qui s’appliqueraient à une morale religieuse, les autres qui s’appliqueraient, par opposition, comme le prétendent les détracteurs de la laïcité, à une morale irréligieuse.

Or les lois laïques de la République ne sont pas irréligieuses.

Les lois laïques de la République défendent la liberté pour chacun d’avoir sa propre morale, de vivre librement selon ses convictions dans le cadre défini par la loi commune, et qu’aucune considération d’ordre théologique ou autre (scientiste par exemple) ne vienne imposer ses règles de conduites particulières à l’ensemble des citoyens de la République.

En dehors des règles fixées démocratiquement par la loi, la morale ne nous est imposée par personne, -et je craindrais même que des partisans d’une certaine forme de laïcité en « isme » – je pense par exemple au laïcisme qui se développe en Belgique, mais pas seulement, qui tend à considérer la laïcité comme une forme de spiritualité à l’égale de celles des religions (n’entend-on parler de spiritualité laïque ?)- je craindrais donc que les partisans de telles formes de laïcité veuillent, sous le slogan de « morale laïque » nous imposer la leur…

La morale ne nous est imposée par personne, si ce n’est par notre propre conscience.

Alors, pour éveiller les consciences, plutôt que de parler « d’enseignement de la morale laïque », n’est-il pas plus pertinent de parler d’« enseignement laïque de la morale » ?

« La vraie morale, la grande morale, la morale éternelle, déclarait Jules Ferry en 1881, c’est la morale sans épithète. »

Jean-Claude JULIEN

Président OLPA , site: [……ici……]

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3 Commentaires

  1. Michel THYS

    Bonjour Jean-Claude JULIEN,

    Je me permets, en tant qu’ancien président de la Libre Pensée de Schaerbeek-Bruxelles, et franc-maçon adogmatique (mais je m’exprime évidemment à titre personnel) de ne pas partager votre
    conception de la laïcité.

    N’est-il pas évident que du fait de la conception laxiste et souvent électoraliste de la tolérance et de la neutralité, la laïcité (française) favorise paradoxalement toutes les religions et leur
    prosélytisme ?

    En témoignent par exemple la multiplication des revendications inspirées par des prescrits religieux, dont la charia, le nombre croissant de mosquées et finalement l’islamisation croissante
    (parfois même de sectes).

    A mes yeux, la laïcité française n’assure que symboliquement, pour ne pas dire hypocritement, « la liberté de conscience » et de religion, parce que le système éducatif actuel ne
    favorise pas son émergence. Tout choix, dont celui entre croyance et incroyance, n’est concevable qu’en présence d’alternatives. Or les religions occultent ou dénigrent les options non
    confessionnelles. J’y vois une malhonnêteté intellectuelle, hélas entérinée par l’Etat …

    « Démonstration » : un Musulman de chez nous, soumis affectivement dès la prime enfance et à tous points de vue au Coran, à la Sunna, aux hadiths, etc., et à qui l’apostasie est
    même interdite puisque théoriquement punie de mort, n’a pas « le droit de changer de religion ou de conviction » au mépris de l’article 18 de la « Déclaration Universelle des
    Droits de l’Homme » de 1948.

    Toutes les morales religieuses sont fondées, à des degrés divers, sur la soumission à un dieu, à un prophète, à un texte « sacré ». La morale laïque (il faudrait dire « non
    confessionnelle »), prône au contraire l’autonomie de la conscience, le libre examen, la responsabilité individuelle, etc.

    La laïcité « philosophique », à la belge, a donc bien « une morale propre ».

    Certes, la laïcité « philosophique » est antidogmatique et anticléricale, mais elle n’est pas antireligieuse, ni « irréligieuse » parce que la foi restera toujours une option
    légitime et respectable, a fortiori lorsqu’elle a été choisie en connaissance de cause, aussi librement et tardivement que possible.

    La laïcité philosophique ne vise évidemment pas à « diriger les consciences » ! Il ne faut pas projeter sur elle les intentions dogmatiques des religions !

    Vous écrivez : «  La morale, celle sur laquelle tous les Hommes peuvent s’entendre est  le produit de l’évolution de la conscience universelle ». Je ne le pense pas.

    D’abord parce que notre évolution reste tributaire de notre cerveau reptilien atavique qui, en l’absence d’éducation morale, incite les humains soit à l’agression, soit à la fuite, soit à
    l’inhibition, selon Henri LABORIT.

    Ensuite parce qu’une morale universelle doit se baser sur le respect inconditionnel de valeurs « universalisables », parce que bénéfiques à tous et partout, telles que la dignité de
    l’homme, de la femme et de l’enfant, leur liberté (effective) de conscience, de religion, de pensée, d’expression, …

    Enfin, parce que les morales religieuses sont fondées sur des commandements dogmatiques. Toute religion fonde sa morale, selon ses dogmes. Le bien et le mal n’existent pas dans la
    nature : un croyant ne « fait le bien » que si c’est conforme aux normes qui lui ont été imposées. Comme il n’a pas librement choisi de croire, je suis d »accord avec vous pour
    dire qu’« il n’y a pas de vraie morale sans liberté de conscience ».

    Il n’est évidement pas question que la morale laïque « impose des règles de conduite » ! Les comportements individuels sont librement consentis. La conscience est le seul juge
    de l’incroyant, parce qu’elle n’a pas été modelée ni inféodée à une religion, ou qu’il s’ est affranchi de sa croyance initiale.

    Je regrette que vous condamniez le prétendu « laïcisme qui se développe en Belgique », et que vous contestiez, sans la connaître, que la laïcité philosophique soit « une forme de
    spiritualité laïque ». Je vous enverrai le lien dans lequel feu Philippe GROLET, ancien président du Centre d’Action Laïque, définissait les deux sortes de laïcité.

    Je serais heureux de lire votre commentaire, et vous en remercie déjà.

    Laïquement vôtre,

    Michel THYS

    à Ittre, près de Waterloo.

    http://michel.thys.over-blog.org/article-une-approche-inhabituelle-neuroscientifique-du-phenomene-religieux-62040993.html

  2. Michel THYS

    Comme annoncé, voici le résumé de la conférence de Philippe GROLLET, et le lien.

    Cordialement,

    Michel THYS

    La laïcité philosophique, c’est la conscience que, vous comme moi, sommes responsables de notre vie et de ce que nous en faisons.

    C’est la conscience que la réponse à toutes nos questions ne viendra ni des dieux, fruits de l’imagination des hommes, ni de la magie, mais de la recherche honnête que nous pouvons
    mener avec tous les autres humains, nos frères, croyants et incroyants, religieux, agnostiques et athées.

    C’est récolter et retenir de toutes les religions et traditions les éléments épars de la sagesse humaine, la recherche du sens et le dépassement de soi, en laissant de côté
    les superstitions et les prétendues révélations.

    C’est la conscience que la vérité est toujours très difficile à cerner et qu’il faut sans cesse renoncer aux certitudes. 

    C’est rejeter les «vérités » toutes faites et être capable de se remettre en question.

    C’est accepter que d’autres pensent et vivent autrement et c’est reconnaître qu’un

    monde de paix n’est possible que par l’acceptation de ces différences.

    C’est chercher la manière de vivre ensemble dans le respect réciproque.

    C’est favoriser l’émancipation de chacun dans la solidarité.

    C’est prendre ses responsabilités dans le groupe et dans la société.

    C’est être capable de se révolter face à l’injustice.

    C’est jouir de la vie. C’est aimer et sourire.

    C’est une histoire sans magie, mais c’est une belle histoire quand même…

    La laïcité philosophique est en effet athée (ou plus exactement agnostique au plan méthodologique et athée au plan opérationnel puisqu’entre deux hypothèses également invérifiables, le
    laïque choisira la moins invraisemblable pour fonctionner).

    Comme j’ai été un peu long pour parler de la laïcité philosophique je serai beaucoup plus court pour définir la laïcité politique qui se traduit en termes d’impartialité ou
    de neutralité de l’Etat, des pouvoirs publics et de l’espace public.

    La laïcité politique, c’est la construction d’un espace public de liberté, ni religieux, ni antireligieux, respectueux de toutes les convictions et de toutes les conceptions de
    vie, pour autant qu’elles acceptent de même la diversité.

    La laïcité politique n’est d’ailleurs pas l’apanage des laïques philosophiques, agnostiques par méthode et athées par pragmatisme, ce n’est pas la chasse gardée des mécréants.

    La laïcité politique est au contraire le « programme commun » de tous les démocrates, confessionnels et non confessionnels, chrétiens, musulmans, israélites, athées, agnostiques,
    croyants ou incroyants, préoccupés de la question du vivre ensemble dans le respect des identités des uns et des autres, unis sur un socle commun, celui des droits de l’homme et des
    libertés fondamentales.

    Philippe Grollet Conférence Forel 2005

    http://www.ulb.ac.be/cal/Documents/spiritualitesethumanismeslaiques_Forel_Charleroi061005.pdf

  3. Jean-Claude JULIEN

    Cher ami Michel THYS,

    Merci d’enrichir la réflexion de notre Observatoire de la Laïcité de Provence et la mienne propre par vos commentaires à propos de morale laïque.
    D’abord, je ne pense pas que nos conceptions de la laïcité soient si éloignées que nos quelques différences puissent le laisser paraître.
    Je partage par exemple votre point de vue sur le laxisme actuel de la laïcité à la française. Laïcité n’est pas Tolérence, et notre système éducatif a aujourd’hui perdu tout crédit auprès des
    « ringards émules du mythe républicain » dont je suis. A ce propos, notre Observatoire va publier un énorme ouvrage « Laïcité, clés pour la comprendre et l’enseigner » à l’usage des enseignants.
    Je partage également le fond de cette « laïcité philosophique » qui exprime la démarche laïque belge. Sur la forme, je reviens à ma démonstration, qui ne semble pas faire l’unanimité, que la
    laïcité ne peut avoir d’épithète. Mais je joue sans doute trop sur les mots… 
    Quant à la conscience universelle, son évolution n’est évidemment pas « universelle » du fait des obscurantismes qui perdurent et renaissent.
    Je vous soumet cette idée   (qui joue encore sur les mots): La Laïcité n’est peut-être pas un concept universalisable, mais « universalisant ».
    J’aimerai vous faire parvenir une sorte de fable qui illustre mon opposition à l’expression « spiritualité laïque ».

    En toute amitié
    Ne défendons-nous pas les mêmes valeurs ?

    JC Julien

     

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