Le créationnisme et l’anti-science s’invitent dans la campagne électorale aux USA

1 Mar 2012

ADLPF La Libre Pensée La culture est le ciment de la liberté Le créationnisme et l’anti-science s’invitent dans la campagne électorale aux USA

2012 sera aussi une année d’élection présidentielle aux USA. Les primaires du parti Républicain amènent comme d’habitude leur lot d’outrances sur les questions économiques, sociales, politiques. Cette escalade, avec comme mot d’ordre « Plus réactionnaire que moi, tu meurs » n’est pas seulement un rite de passage obligé pour tout candidat républicain à la Maison Blanche, mais aussi un révélateur de l’état d’esprit de la frange conservatrice du peuple américain.

Nous assistons en ce début d’année à un retour en force du créationnisme, et plus généralement des idées opposées à la science et à la raison. Le créationnisme est un mouvement datant de la seconde moitié du 19esiècle, après que Darwin eut publié en 1859 « L’Origine des espèces » et en 1872 « La Filiation de l’homme ».

Dans le premier ouvrage, Darwin formalise la théorie de l’évolution. S’appuyant sur les observations qu’il a faites, par exemple celles sur les pinsons des Galapagos ou bien sur les pigeons domestiques, Darwin propose que les espèces ne sont pas immuables mais évoluent au cours du temps. Le mécanisme qu’il donne pour expliquer cette évolution se résume ainsi : de temps à autre, de nouvelles caractéristiques apparaissent aléatoirement chez les individus (c’est ce que l’on appellera plus tard des mutations de gènes). Si ces mutations entraînent des difficultés pour accéder à la nourriture ou échapper à des prédateurs, les individus qui en sont porteurs vont disparaître. Si au contraire ces mutations procurrent un avantage, le porteur de cette caractéristique aura une probabilité plus grande de survivre que ses congénères. Sa descendance pourra aussi être pourvue de cet avantage et survivra elle aussi plus facilement. Petit à petit, les espèces vont donc changer.

« La Filiation de l’homme » met en évidence la parenté entre l’homme et les autres primates.Contrairement à une idée répandue, Darwin ne montre pas que l’homme descend du singe, ce qui signifierait que l’homme est en quelque sorte l’aboutissement d’un processus d’évolution plus ou moins dirigé, mais il montre que l’homme est un singe.

Les réactions à la publication des deux ouvrages de Darwin ont été nombreuses et violentes. Les thèses de Darwin sont en effet en contradiction avec l’affirmation de la création des espèces une fois pour toutes par dieu, et surtout elles nient le caractère divin de l’homme puisque que Darwin montre que l’homme est un animal comme les autres. Les adversaires de Darwin, les fondamentalistes protestants surtout dans un premier temps, ont une lecture littérale, et non pas allégorique de la bible. S’il est dit que dieu a crée les espèces telles que nous les connaissons actuellement, c’est l’exacte vérité, d’où le terme de créationnismepour désigner ce courant de pensée. Le créationnisme ne se limite évidemment pas aux protestants. Dans toutes les religions on trouve des personnes défendant une lecture au pied de la lettre d’un texte sacré contre ce que dit la science.

A côté de ce créationnisme dur, s’est développé depuis quelques années un créationnisme plus modéré mais pas moins dangereux. Il s’agit du dessein intelligent (ou Intelligent Design dans les pays anglo-saxons). L’argument présenté par ses tenants se formule ainsi : puisque l’homme est tellement merveilleux, il ne peut pas être le fruit du hasard. Il y a nécessairement une intelligence supérieure qui a guidé son évolution. Derrière une apparence plus présentable, l’objectif est toujours le même : dire que les thèses darwiniennes sur l’évolution naturelle des espèces sont fausses, en particulier lorsqu’elles font de l’homme un accident de l’évolution.

En ce début d’année 2012, six projets de loi, dans quatre états (Indiana, Missouri, New Hampshire et Oklahoma) ont pour objectif de réintroduire le créationnisme dans les écoles publiques. Dans le New Hampshire, le Républicain Jerry Bergevin ne fait pas dans la nuance : « Je veux que soit présenté le portrait complet de l’évolution et des gens qui ont eu ces idées. C’est une vision du monde et elle est sans dieu. L’athéisme a été essayé dans divers pays, et ces sociétés ont été vraiment criminelles chez elles et à l’étranger. L’Union soviétique, Cuba, les nazis, la Chine aujourd’hui : ils ne respectent pas les droits de l’homme.[…]Nous devrions nous inquiéter de pareilles idées criminelles et de la manière dont nous les enseignons… Vous vous souvenez de Columbine,[référence à la tuerie du lycée de Columbine, Colorado, en 1999, au cours de laquelle deux jeunes hommes avaient tué treize personnes avant de se suicider] ? Ces gens-là croyaient à l’évolution. ».

Dans ce fatras de mensonges et d’incohérences, on trouve par exemple l’idée, colportée par tous les monothéismes (et sans doute d’autres religions) que le nazisme est la conséquence de l’athéisme et de la philosophie des Lumières. Or rien n’est plus faux : l’accession d’Hitler au poste de chancelier n’a été possible que grâce aux voix du parti catholique allemand. Souvenons nous aussi du silence bienveillant, pour dire le moins, de Pie XII, sur le régime nazi et l’extermination des juifs, et de la devise gravée sur les ceinturons des SS « Got mit uns » (dieu avec nous).

Ce que Bergevin rejette, c’est finalement tout attitude rationnelle, donc la science, qui essaie de comprendre le monde sans faire appel à dieu : «C’est une vision du monde et elle est sans dieu ». L’attitude n’est pas différente de celle des inquisiteurs qui reprochaient à Copernic, Galilée ou Bruno de penser hors des cadres de la bible.

Les conservateurs américains ne limitent pas leur négationnisme scientifique à l’évolution darwinienne. Le réchauffement climatique s’attire aussi leurs foudres. Le candidat à la primaire républicaine Rick Santorum a ainsi déclaré début février : « [le réchauffement climatique est ] une parodie absolue de recherche scientifique, qui a été poussée par ceux qui, dans mon opinion, l’ont vue comme une occasion de créer une panique et pour le gouvernement la possibilité d’intervenir dans votre vie voire de la contrôler.[…] Pour ma part, je n’ai jamais cru à ce canular »avant de préciser : « En tant que créatures de Dieu, nous avons été mis sur cette Terre pour exercer notre domination sur elle, pour l’utiliser et la gérer avec sagesse, mais à notre bénéfice, pas à celui de la Terre ».

 

De ce côté-ci de l’Atlantique également, les figures de proue du climato-scepticisme se recrutent principalement parmi la droite (ce qui ne veut pas dire que tous les écologistes sont de gauche ni que les gens de gauche sont forcément écologistes !). Ce sont par exemple Luc Ferry, qui passe son temps à répéter contre toute évidence que l’origine de l’écologie est le nazisme, Pascal Bruckner, le pseudo-penseur mondain sarkolâtre, ou encore Claude Allègre, récent soutien de Sarkozy (s’il a jamais été de gauche). Même si la dimension religieuse est absente des discours français, le fond est le même : une détestation de l’écologie (parfois vue comme une résurgence du communisme) ressentie comme une atteinte intolérable aux actions de l’homme sur ce qui l’entoure, et dans le cas américain également vue comme une atteinte aux bénéfices des pétroliers qui financent généreusement les campagnes électorales. Convaincus que l’homme est « comme maître et possesseur de la nature » pour reprendre le mot de Descartes, rien ne doit selon eux être opposé à une quelconque action de l’homme sur l’environnement, quand bien même cette action serait nuisible à l’homme (étant entendu que la nuisance à tout ce qui n’est pas humain n’est pas une notion assimilable à l’entendement de ces gens).

Aveuglés par cette haine, les climato-sceptiques, quel que soit le côté de l’Atlantique où ils se trouvent, rejettent en bloc – parfois au nom de la science ! – des résultats concordants publiés par des milliers de scientifiques dans des dizaines de milliers d’articles. La stratégie utilisée est la même que celle des créationnistes : nier la scientificité des résultats en hurlant au complot idéologique

(Eh ! Assisterait-on en ce moment à un complot mondial des thermomètres ?), monter en épingle des points de discussion mineurs (c’est justement le coeur de la science de n’être pas dogmatique!) et pour faire bonne mesure affabuler et calomnier (« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »).

Le seul outil à la disposition des citoyens pour se faire une opinion éclairée sur des sujets comme l’évolution darwinienne ou le réchauffement climatique est l’école publique laïque. Pour cette raison, entre autres, elle subit elle aussi des attaques. A défaut de faire taire la science, les réactionnaires essaient de faire taire l’école. Les élections de 2012 seront-elles l’occasion de renverser la tendance ?

Cédric Mulet-Marquis

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