Dieu est une fiction

18 Sep 2015

ADLPF La Libre Pensée Laïcité Dieu est une fiction

Notes de lecture : Dieu est une fiction

Essai sur les origines littéraires de la croyance.

Alain NADAUD

Éditions Serge Safran ; diffusion Seuil 19€

Dieu est une fiction et il revient au littérateur d’en démonter les ressorts narratifs et littéraires (suspens, merveilleux, séquences moralisatrices etc.), c’est ce à quoi s’attache Alain Nadaud au long d’un livre passionnant et érudit.

Nadaud s’appuie sur le constat de « l’irrépressible besoin de croire qui jamais ne relâche sa pression sur l’âme humaine » ; partant des origines, i.e. de l’animisme, il déroule l’élaboration du roman épique de Dieu, cette fiction humaine auto produite et qui a fini par subjuguer (le mettre au joug), le genre humain.

Quatre éléments sont indispensables pour que la croyance religieuse prenne corps : un principe divin posé en postulat avec son cortège de fictions plus ou moins abouties formant corpus, un clergé qui veille et s’entend à rendre crédible le fatras ainsi constitué, des rituels qui en sont le petit théâtre et enfin et surtout l’impérieux besoin de croire de l’être humain.

Tout part de l’animisme et les premiers récits forgés pour rassurer, tant l’idée de la mort suscite la panique, tout comme tout ce qu’on ne peut expliquer. En ces temps, le divin n’est pas distinct de la matière, or si la matière est multiple, le divin l’est aussi. Au fil des siècles et de la prise de parole des plus habiles et inventifs commence le grand roman de Dieu.

Les mythes grecs, dorénavant dépouillés de tout enjeu religieux, sont l’outil idéal pour l’observation du processus qui fonde la religion. On y voit l’imagination humaine à l’œuvre, dans toute sa créativité et sa poésie. Elle y déploie tout ce que l’humanité a de splendide et de sordide et en dote les dieux. Xénophane, un sceptique, n’est pas dupe, il écrit : [On a raconté sur les dieux] « Toutes sortes d’actions qui défient la justice:/ [On] les [fait] s’adonner au vol, à l’adultère,/ Et se livrer entre eux au mensonge trompeur. ». Le même écrira ailleurs que si les bœufs, les chevaux ou les lions avaient des mains, ils façonneraient le divin sous forme de bœuf, de cheval et de lion.

Si les mythes constituent un inépuisable réservoir de fiction, on n’en connaît toutefois jamais les auteurs car ils sont le fruit et « l’expression du génie d’un peuple à un moment de son histoire ». Il n’empêche le roman se met en place et on ne peut pas nier qu’il comporte tous les ingrédients narratifs qui en font une lecture passionnante.

On retrouve ses même éléments dans la roman fleuve qu’est la Bible qui narre l’histoire d’un peuple pris dans les rets des humeurs de son Dieu. La philologie a montré que ce texte écrit à plusieurs mains comprend plusieurs strates avec des réécritures en retour, des interpolations, des inventions ponctuelles et opportunistes. Toutefois, ce qui distingue radicalement la Bible des cosmogonies antérieures, c’est l’adjonction de traités liturgiques et législatifs (Deutéronome, Lévitique, Nombres) extrêmement contraignants. Dieu s’empare du pouvoir profane à travers des interdits vestimentaires, alimentaires, sociétaux etc. Il n’y a pas lieu cependant de faire du décalogue un texte exceptionnel, il n’est, pour l’essentiel, que la reprise des pratiques de bon sens en usage à l’époque. Au fil de l’histoire, pas à pas, se construit le premier monothéisme qui réussira. Dieu, en Exode 3,14, prononce cette magnifique tautologie « Je suis celui qui suis » qui affirme son immanence et résume à la fois son existence, son être et sa présence. C’est l’arme absolue qui conduit à l’abstraction et à l’interdiction de la représentation. Ce dieu prend un malin plaisir à tourmenter son peuple malgré une prétendue alliance préférentielle et des promesses incroyables, et au passage invente à cet effet la carotte et le bâton pour sortir plus souvent ce dernier. Les Hébreux désorientés inventent alors la culpabilité chronique. Ce dieu là pense que l’amour qu’on lui porte n’est jamais assez exclusif et toujours trop tiède…

Puis Dieu se tait : plus de prophète, plus de buisson ardent, plus de tonnerre sur le Sinaï, alors apparaît une suite bien venue et ce sera la saga christique portée par le Nouveau Testament.

Beau roman là encore avec ce renversement génial : Dieu qui fit les hommes se fait homme à son tour et, devinez pourquoi, pour racheter lui-même les péchés contre lui ! Il y délègue son fils. Dès le départ, les problèmes surgissent. En effet la mission du fils pose la dualité du dieu unique qu’on essayera de noyer dans l’invention d’une troisième personne le Saint Esprit. La Trinité est née, un cas de tératologie comme le dit Jorge Luis Borges.

En parlant du Nouveau Testament, Nadaud note son style qui « a la fraîcheur des contes pour enfants » ce qui lui assure en partie son succès, mais le vrai coup de génie est dans la coupure d’avec les origines juives et l’ouverture vers les païens. Né secte juive parmi beaucoup d’autres, le christianisme se lance à la conquête du monde et avec quelle réussite. Il fera plier les rois et les empereurs nonobstant des secousses hérésiarques innombrables et se fera guerrier ou charitable selon ses intérêts du moments. Le christianisme est l’outil idéal pour analyser l’instauration du pouvoir clérical qui lui est consubstantiel.

Voici venir le dernier tome du roman, et de loin le moins passionnant, car il procède à la liquidation de l’aventure et enferme pour toujours le héros, rebaptisé Allah, à l’abstraction radicale.

Le Coran (La Récitation), prétendument révélé à Mahomet par l’ange Gabriel, sera rédigé bien après sa mort et comme toute littérature « sacrée » il est fait d’interpolations, de manipulations et d’ajouts opportunistes ; il subira, comme ses aînés et par volonté politique, une opération visant à en fixer le canon. L’Islam cherche à s’imposer comme la synthèse des monothéismes précédents et c’est ainsi qu’on en trouve des réminiscences approximatives et rabâchées, Mahomet ne connaissant la Thora et les Évangiles que très imparfaitement du fait qu’il était illettré. Du point de vue du style, la transposition de la stricte oralité à l’écrit dans une langue, à l’époque point définitivement fixée, lui donne une forme poétique, mais sur le fond, c’est la fermeture radicale. Rien ne peut se faire sans le concours et la volonté du dieu : la destinée c’est lui et les humains ne sont que de pitoyables marionnettes qu’il sauve ou accable selon son bon plaisir, et, merveille des merveilles, il est , tant qu’à faire, l’inspirateur des ouvrages précédents. Voilà à l’acmé du concept : déjà absolu, le dieu se voit paré de la totalité des pouvoirs comme des responsabilités, de la totalité des vertus comme des qualités. Le roman désormais est clos, il est devenu péremptoire et « parfait ».

Tant d’absurdités, que nombre d’humains ont tôt décelé, nécessitent pour perdurer l’existence de clergés et de servants attentionnés et vigilants pour assurer « l’exégèse », ce palliatif d’un Dieu désormais muet puisque le roman est épuisé depuis maintenant 15 siècles et que depuis, aucun récit d’importance n’a été avancé pour renouveler l’idée de dieu. Le clergé, l’Infâme de Voltaire, assure le SAV et la conservation dogmatique « contre son entretien matériel, sa protection et de solides compensations financières » par les pouvoirs politiques.

En conclusion, Nadaud plaide pour une mystique de l’athéisme car pour lui à travers l’homme, « c’est la matière qui fait retour sur elle-même, à la fois qui pense et qui se pense ». « La religion est le trou noir de l’intelligence, par où sa lumière et sa clairvoyance s’engouffrent pour disparaître à jamais ». « (L’Athée) est le tenant d’une spiritualité qui reste à inventer ».

Ce livre démystifie le roman des dieux en démontant ses astuces narratives et pointe l’incroyable auto intoxication à laquelle il a amené le genre humain.

Gilles Poulet

Septembre 2015

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2 Commentaires

  1. François LEDRU

    C’est bien tout le problème de la laïcité au quotidien : on explique au vrai croyant que sa croyance n’est que ce qu’il croit, la cohabitation de tous passe avant, il a tendance à dire « mais vous ne parlez qu’au nom d’idées, moi je parle au nom de dieu » et il a peur que son dieu le sanctionne s’il ne dit pas comme ça. Ledru

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