Beccaria Cesare- Le 18 septembre 1981

29 Sep 2011

ADLPF La Libre Pensée La culture est le ciment de la liberté Beccaria Cesare- Le 18 septembre 1981

par Roland Bosdeveix:

A Paris, l’Assemblée nationale vote la loi d’abolition de la peine de mort présentée par le ministre garde des Sceaux, Robert Badinter, par 369 voix contre 113 qui s’y opposent. Par cette loi historique importante, la France s’aligne enfin sur les autres pays d’Europe occidentale.

Historiquement

Toutes les sociétés ont pratiqué la peine de mort, avec des variantes très nombreuses : décapitation, strangulation, empoisonnement à la ciguë, lapidation (Hébreux), décapitation, précipitation, pendaison, crucifiement. Philosophiquement parlant, on justifie l’acte. Platon considère la peine majeure comme une forme de purification nécessaire à la réparation de l’acte commis. De la même manière, Aristote considérant l’individu responsable de ses actes doit être puni en conséquence.

Mais plus près de nous, la France de l’Ancien Régime n’est pas en reste face à ces pratiques à ces antiques. Prenons quelques exemples : décapitation (privilège de la noblesse), pendaison, roue, écartèlement et bûcher. La Révolution française, sous les auspices de l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen («tous les citoyens sont égaux…»), elle généralise une technique particulière : l’emploi de la machine portant le nom de son auteur : le docteur Guillotin. Il faudra donc attendre plus de deux siècles avant que le dernier exécuteur des basse oeuvres abandonne son sinistre métier.

Mais dès la fin du XVIIIe siècle, la peine de mort fait déjà l’objet d’une contestation. Le fait est suffisamment remarquable pour être signalé. Elle provient d’un admirateur de Montesquieu et d’Helvétius, le marquis italien Cesare Beccaria. Il se rattache à ce qu’on a appelé les Lumières. Dans un petit ouvrage publié sans l’imprimatur en 1764, Des délits et des peines, il y développe : «L’État n’a pas le droit d’enlever la vie. La peine de mort est une survivance de rigueurs antiques et un anachronisme dans une société policée. Elle n’est pas seulement inutile parce que sa valeur d’exemple est nulle, elle est aussi nuisible». Ainsi, il remet en cause le droit de punir et s’oppose à cette peine barbare. Il considère que la prévention vaut toujours mieux que la répression.

Un homme comme Voltaire reprend sa théorie et conteste cet acte de barbarie. Victor Hugo publie, en 1829, Le Dernier Jour d’un Condamné. Il écrit cet ouvrage comme le journal des dernières heures du condamné. Il ajoute à ce livre, en 1832, une troisième préface qui dresse un excellent et puissant plaidoyer contre la peine de mort.

Mais remontons légèrement le temps. Après la chute de l’Empire, François Guizot réintroduit le débat contre la peine de mort. Sans doute avait-il toujours présent à l’esprit la mort par guillotine de son père lors de la Terreur. Sa proposition de loi échoue de peu. Tout comme celle de Jules Simon en 1870. Le même sort arrivera à Aristide Briand, le célèbre rapporteur de la loi de 1905 de séparation des églises et de l’Etat. Devenu ministre de la justice en 1908 , il soumet un projet de loi qui se résume ainsi : « La peine de mort est abolie ». La réaction se déchaîne et, une fois de plus, la loi échoue.

Franchir le pas

En Europe, les premiers à délaisser la peine de mort sont les pays nordiques : en 1826, la Finlande initié ce mouvement. En 1875, la Norvège suit puis, en 1892, le Danemark. La Suède enchaîne en 1910. Pour les Pays-Bas se sera en 1850 et pour la Belgique en 1863. Le Portugal supprime la peine en 1867 suivie par l’Italie en 1890. Notons que le sinistre Mussolini la rétablira le temps de son pouvoir). L’Allemagne ne l’abolira qu’en 1949.

Jusqu’aux années 1970, la peine de mort en France sera appliquée avec une intensité très variable. Un cours répit d’accalmie et en 1972, cela repart : affaire Buffet-Bontemps (prise de trois personnes en otages dans la prison de Clairvaux dont 2 seront tués). En 1976, il y aura les affaires Ranucci (meurtre d’un enfant) et Patrick Henry (rapt et assassinat d’un jeune garçon).

Heureusement, cinq ans plus tard – en 1981 donc – Robert Badinter, alors ministre de Mitterrand, réussit a faire passer cette loi d’abolition. Plus personne ne la remet en cause, sinon la présidente du FN qui vient de réaffirmer le contraire dans le journal gratuit 20 minutes.

Alors aujourd’hui qu’en est-il dans le monde ?

Selon Amnesty International,

Statistiques 2009 :Difficile d’avoir des stats complètes. Certains pays, comme la Chine, refusent de les communiquer.

Liste non exhaustive et estimation à minima :

Iran : 388 et +

Irak : 120 et +

Arabie Saoudite : 69 et +

Etats-Unis : 52

Yemen : 30 et +

Soudan, Vietnam : 9 et +

En 2010, la peine de mort a été unanimement répudiée par les États européens et le Canada ainsi que de nombreux États latino-américains et plusieurs États d’Afrique subsaharienne et d’Océanie. La Russie ou encore l’Algérie ont instauré un moratoire sur son application…

Au total, en 2009, 140 des 192 membres de l’ONU ont aboli ou suspendu la peine de mort. Mais ces pays ne rassemblent que 40% de la population mondiale ! L’essentiel de l’Asie et les pays les plus peuplés (Chine, Inde, Indonésie, États-Unis, Pakistan, Japon, Bangladesh etc) continuent d’appliquer la peine de mort sans guère d’état d’âme.

Le cas de la peine de mort aux États-Unis est particulier.

Les mentalités évoluent lentement. En 2010, 65% des Américains restent toujours favorables à la peine de mort. Ils étaient 80% en 1993. Par ailleurs, moins du tiers des Etats l’ont abolie : 15 États sur 50 (le Michigan en 1845 et, le dernier en date, mars 2009, au Nouveau-Mexique).

Ce qui est rassurant c’est que de plus en plus d’Américains restent sceptiques sur son effet dissuasif, observant que les États les plus actifs comme le Texas sont aussi ceux où la criminalité est la plus forte ! Un rapport indique que 57 % des policiers eux-mêmes ne croient plus à son efficacité. Ensuite, les tests ADN révèlent que les «couloirs de la mort» hébergent de nombreux innocents condamnés à tort.

En ce jour d’abolition de la peine de mort,

nous avons souhaité dédier cet almanach

à Cesare Beccaria qui vécut de 1738 à 1794

Il subit d’abord, selon ses propres dires, « huit années d’éducation fanatique et servile » (1747-1755) dans un collège jésuite pour jeunes aristocrates à Parme. Il obtient ensuite en 1758, à l’âge de 20 ans, son doctorat en droit à l’université de Pavie.

Qui mieux que les auteurs de l’Encyclopédie Universalis peuvent vous parler de ce personnage ?

« Docteur en droit de l’université de Pavie à vingt ans, Beccaria entra en conflit avec sa famille, à l’occasion de son mariage avec Teresa di Blasco (1761) ; on plaida. 11 avait fondé avec les frères Pietro et Alessandro Verri l’académie dei pugni, à tendances littéraires, philosophiques et politiques ; dans les réunions de ce petit groupe, on évoquait souvent les problèmes posés par la criminalité et sa répression, car Alessandro Verri était « protecteur » des prisons de Milan et faisait profiter ses amis de son expérience du système pénal et pénitentiaire de l’époque. C’est sous son influence que Beccaria écrivit son célèbre ouvrage. Son premier livre sur Les Désordres et les remèdes de la situation monétaire dans l’État de Milan avait paru en 1762, ses dons pour les mathématiques l’ayant orienté, en effet, vers les études économiques. Cet ouvrage, ainsi que le traité Des délits et des peines, fut publié hors de Lombardie. Il n’était pas signé. L’un et l’autre développaient dans des domaines différents, mais non sans rapports, des idées audacieuses, et Beccaria, jeune père de famille, entendait « défendre l’humanité sans en être le martyr >>. Le duché de Milan vivait sous la domination autrichienne depuis 1713. La riche société milanaise n’était pourtant nullement privée de sa liberté d’expression et subissait l’influence des Encyclopédistes. »

(…) « Le succès du traité Des délits et des peines dissipa vite l’anonymat ; les éditions se multiplièrent. En France, l’abbé Morellet publia en janvier 1766 une traduction qui prenait d’assez larges libertés avec le texte ; les Encyclopédistes s’enthousiasmèrent ; l’avocat général Servan développa les idées de Beccaria dans son discours de rentrée -il fit scandale – devant le parlement de Grenoble en 1766, et Voltaire les patronna la même année dans un commentaire de l’ouvrage ; aux Pays-Bas, en Prusse, à la cour de Vienne et à celle de Saint-Pétersbourg et dans toutes les principautés italiennes, le mince traité était l’ouvrage du jour. La passion qui animait l’auteur, la clarté de son style, la rigueur de ses développements, la nouveauté des thèses contribuèrent à la diffusion de l’œuvre.

 

Les milieux traditionalistes réagirent avec violence. Le livre fut mis à Flndex, et condamné par l’Inquisition en Espagne. Le dominicain Angelo Fachinei (pour le compte, dit-on, du Conseil des Dix de la république de Venise) publia une réfutation véhémente qui reçut promptement (1765) une réponse, dont l’auteur était Pietro Verri. En France, l’éminent criminaliste Muyart de Vouglans fit suivre la nouvelle édition de son ouvrage d’une critique acerbe des idées nouvelles, jugées subversives.

Mais les libéraux eurent le dessus. Invité à Paris, Beccaria y fut reçu par les philoso­phes et publicistes (1766). Le gouvernement milanais – pour éviter qu’il ne se rende à Saint-Pétersbourg où l’appelait Catherine II – lui^donna une chaire d’économie politique aux Écoles palatines en 1768, puis le nomma membre du Conseil suprême d’économie publique (1771), magistrat provincial pour la monnaie (1778) et enfin chef du départe­ment économique, puis du département politique (1789) du conseil du gouvernement, où il eut à élaborer et à mettre en œuvre diverses réformes. Après avoir publié en 1770 des Recherches sur la nature du style, il revint en 1791 aux questions pénales, au sein d’une Commission pour la modification du système judiciaire civil et criminel, et rédigea un rapport officiel important. Sa mort survint peu après, le 28 novembre 1794. Elle interrompit la rédaction des Eléments d’économie publique, dont une partie fut publiée en 1804. Il avait perdu sa femme en 1774 et son rapide remariage l’avait brouillé avec ses enfants. Le bruit fait en Europe par la Révolution française l’avait éclipsé, et ses compatriotes l’avaient oublié. »

« Beccaria a été l’un des premiers à attirer l’attention sur les causes économiques et sociales de la criminalité, à proposer des remèdes, à esquisser ce que doit être une politique criminelle éclairée, cohérente et efficace des pouvoirs publics. « On ne peut appeler précisément juste ou nécessaire (ce qui est la même chose) la punition d’un délit tant que les lois n’auront pas adopté les moyens les plus efficaces possibles de le prévenir, eu égard aux circonstances parti­culières dans lesquelles se trouve une nation. »

(…)

« Les idées de Beccaria ont amené, en l’espace de quelques lustres, plus de changements dans le droit pénal mondial que celui-ci n’en avait connu depuis plusieurs siècles. Ayant même la Révolution française, le despotisme éclairé réalisa de profondes réformes ; en France, les édits de Louis XVI de 1780 et 1788 (comportant notamment l’abolition de la torture) s’en inspirèrent, et le droit intermédiaire consacra la plupart des idées de Beccaria (les codes napoléoniens revinrent quelque peu en arrière). La légalité de la répression, l’abolition des supplices, la modération des peines, l’organisation des droits de la défense sont des conquêtes dues à Beccaria. »

Cette approche encyclopédique nous montre un juriste très influencé, selon sa propre expression, par « l’immortel » Montesquieu, ainsi que par Helvétius et les encyclopédistes français. Le marquisa s’intéresse très tôt aux questions liées à l’équité du système judiciaire. A 26 ans, il signe donc son célèbre Des délits et des peines(17641766). Ainsi, en matière de droit pénal, il pose les bases de la réflexion moderne qui se dégage de tout modèle religieux. Le principe de séparation des pouvoirs religieux-judiciaire se trouve posé. Dénonçant la cruauté de certaines peines comparées au crime commis, il juge « barbare » la pratique de la torture et de la peine capitale.

Son ouvrage sera rapidement traduit dans les principales langues d’Europe.

En ce jour anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France, rappelons qu’il existe une organisation militante qui se définit comme l' »organisation francophone de référence contre la peine capitale dans le monde ».

Il s’agit de Ensemble contre la peine de mort (ECPM)

Site abolition.fr

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