Projet de loi « confortant le respect des principes de la République » : notre analyse

1 Avr 2021

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Ce projet va bientôt passer en première lecture au Sénat. L’élaboration de cette loi s’inscrit dans un contexte à garder en mémoire. Ce n’est pas une loi sur la laïcité à proprement parler mais une loi qui, dans certains de ses articles, concerne la laïcité. Et n’oublions pas qu’elle a été présentée aux députés le 9 décembre 2020, date symbolique s’il en est.

Ce projet fait suite à deux discours programmatiques du président de la République, celui de Mulhouse qui tente de définir la notion de « séparatisme » et le discours des Mureaux qui propose des axes de réponse. Le tout se déroule dans un contexte judiciaire particulier, celui du jugement des responsables de la tuerie des membres de la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo et de l’Hyper casher, mais aussi de l’horrible assassinat du professeur Samuel Paty. Ce contexte est important politiquement tout en sachant que cette loi n’est pas une réponse émotionnelle à une situation mais qu’au contraire elle s’inscrit dans une démarche de long terme enclenchée par le président de la République depuis le début de son quinquennat.

Les grandes lignes du projet de loi

La loi telle que présentée ne retient que quatre axes du discours des Mureaux, le texte présenté en excluant l’organisation de l’Islam en France et le volet social du discours. Ses quatre axes sont :

  1. Des règles pour renforcer la neutralité des services publics qui introduisent la notion de contrat d’engagement républicain (art. 1, 2, 6 et 7).
  2. La protection des citoyens et des personnes, avec une attention soutenue à l’égalité homme/femme (art. 13 à 17).
  3. L’enseignement à domicile et le contrôle renforcé des écoles hors contrat (art.18, 19 et 20)
  4. Le renforcement du contrôle des associations cultuelles (art.29 à 38), cette quatrième partie occupe un bon tiers de la loi et interroge particulièrement les laïques que nous sommes car c’est là que se jouent des modifications de la loi de 1905.

Les modifications de la loi de 1905

Ce quatrième volet de la loi se veut modifier profondément l’économie de la loi de 1905. En particulier l’article 19 de cette dernière, qui règle l’organisation des associations cultuelles, est restructuré par trois articles du projet actuel.

  • En premier lieu, l’article 26 apporte une simplification concernant le nombre de membres requis pour constituer une association : ce point était déterminé dans la loi de 1905 en fonction du nombre d’habitants des communes. Il est ramené à sept personnes majeures, et surtout met en place un dispositif « anti-putsch » obligeant à prévoir des règles de fonctionnement garantissant une meilleure maîtrise de la part des membres décisionnaires afin d’éviter la mainmise de groupes radicaux.
  • En second lieu, l’article 27 met en place une déclaration préalable pour une reconnaissance par le préfet du caractère cultuel des associations. Ce point nous semble s’éloigner de l’esprit de séparation propre à notre conception de la laïcité.
  • L’article 28 permettra enfin aux associations cultuelles de détenir et administrer des immeubles « acquis à titre gratuit qui ne sont pas directement nécessaires à leur objet, afin de pouvoir en tirer des revenus. ». Cette disposition avait déjà été avancée dans la loi du 10 août 2018 pour un « État au service d’une société de confiance », et avait été retirée sous la pression des associations laïques. Cela reviendrait donc à élargir les limites de l’objet de ces associations cultuelles. Insistons bien sur le fait que le grand vainqueur de cette modification serait, vu l’ampleur de son patrimoine, l’Église catholique. Le gouvernement, conscient du cadeau, l’a fait, par le biais d’un amendement, plafonner à 33 % des recettes annuelles de ces associations.

Le projet gouvernemental est de faire entrer dans le cadre de la loi de 1905 les associations culturelles musulmanes qui gèrent et s’occupent du culte, alors que seulement 8 % des mosquées sont à l’heure actuelle encadrées par des associations cultuelles, conformément à la loi 1905. Les associations cultuelles prévues par la loi de 1905 sont une forme particulière d’associations conformes au statut de la loi de 1901, avec l’objet restreint de s’occuper du culte et uniquement de cela, avec à la clef des avantages fiscaux et financiers. Pour ramener les associations culturelles qui s’occupent de cultuel, il aurait suffi d’abroger l’article 4 de la loi du 3 janvier 1907, à l’époque loi d’apaisement, qui stipule : « l’exercice public d’un culte peut être assuré tant au moyen d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 (…) que par voie de réunions tenues sur initiatives individuelles en vertu de la loi du 30 juin 1881 et selon les prescriptions de l’article 25 de la loi du 9 décembre 1905. ». Le gouvernement a choisi de procéder autrement, pourquoi ?

Des reculs et des lacunes

Depuis l’affaire de Creil, nous sommes un certain nombre à alerter sur l’activisme islamiste et ses dangers. L’heureuse surprise d’une sortie du déni entretenu par les gouvernements successifs de cette question ne doit pas nous aveugler. Que ce soit par ses omissions ou par ses propositions, ce projet de loi ne renforce pas réellement la laïcité. Dressons rapidement ce qui est laissé de côté et qui ne manque pas de nous inquiéter.

  1. Permettre de détenir et d’administrer des immeubles reçus par dons et legs est une faute grave. Faciliter l’enrichissement des cultes ne semble pas être une bonne chose pour l’avenir de la tranquillité civile, pourquoi offrir aux diverses religions des moyens accrus pour circonvenir la société ? Des Églises pauvres sont un gage de paix civile et une certitude qu’elles se consacrent pleinement à leurs recherches spirituelles.
  2. Pourquoi renforcer, sous la pression du lobby alsacien, le droit local alsacien-mosellan alors que le Conseil Constitutionnel considère que ce droit local n’est que provisoire ? Est-ce un cadeau électoraliste en cette période de précampagne présidentielle, ou est-ce un aveu, véritable lapsus législatif, que le modèle néo-concordataire est tellement envisagé qu’il faut valoriser ces terres concordataires comme modèle ?

De nombreuses omissions qui fâchent les laïques.

Il aurait été de bon ton de supprimer les avantages fiscaux et financiers de la loi du 25 décembre 1942 du régime de Pétain (libéralité testamentaire et subventions déguisées à la réparation des lieux de cultes) qui modifiait l’article 19 (tiens déjà lui) de la loi de 1905.

En outre, rien n’a été proposé en ce qui concerne les accompagnants scolaires et l’obligation de neutralité vestimentaire, contredisant ainsi le principe de laïcité imposé par le préambule de la Constitution à toute activité scolaire… de même aucune proposition pour ce qui est du port de signes religieux par les étudiants en situation de cours ou de recherche.

Pour finir, la conviction de lutter contre le séparatisme est bien entachée par le silence concernant le financement des écoles confessionnelles. Les 11 à 18 milliards d’euros annuels versés à l’Église ne nourrissent-ils pas un séparatisme social ? La commission préparatoire de la loi a rejeté tous amendements qui auraient pu modifier les lois Debré, Guermeur et Carle.

Donc notre soutien à ce projet de loi ne peut être que critique, car bien en deçà de ce que nous espérons et demandons depuis plus de trente ans.

De plus, nous le savons, le projet de mettre en place un Islam en France sous une forme néo-concordataire est toujours à venir. Le président de la République et son ministre de l’Intérieur y travaillent ; la loi contre le séparatisme n’est que le premier étage de la fusée. De surcroît, les différents mouvements musulmans qui composent les interlocuteurs du pouvoir nous inquiètent et sont loin d’être l’Islam des Lumières dont certains se gargarisent…

Thierry Mesny

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