La démocratie en péril des privilèges
Après avoir défendu la démocratie « plus mauvais des régimes politiques si on excepte tous les autres », je commence à m’interroger sur les limites de la démocratie et sur l’avenir de cette démocratie.
J’aurais aimé continuer à dire que malgré tout nous devons la défendre « becs et ongles » et attendre qu’elle se régénère d’elle-même et que le désir universel de démocratie qui nous parvient de partout dans le monde justifie notre patience devant les dérives que nous constatons.
J’aurais aimé continuer à répéter que l’exigence de vertu que Montesquieu met en évidence pour les élus politiques finirait par s’imposer et que les cas de corruption que la presse nous expose en France, mais aussi dans d’autres pays et dont la crise a permis de voir la profondeur et la gravité, ne seraient que marginaux, mais ce n’est pas le cas.
Il faut bien convenir que la crise, si elle a révélé l’ampleur de la corruption qui a gangrené notre classe politique et celle des pays voisins, elle n’en est pas la cause. Si les privilèges ont été supprimés dans la nuit du 4 août 1789, ils se sont reconstitués progressivement, à l’écart de toute publicité, discrètement, en faveur d’une classe sociale, dont il fallait garantir l’existence pour favoriser l’accès démocratique au pouvoir. Dans ce contexte légitime, on a multiplié des garanties pour des élus qui ont fini par devenir des privilégiés, dont les citoyens ignorent nombre de leurs avantages, dont ils ne se vantent pas.
Tant qu’on en reste à ce qui est connu de ces acquis il y a certainement à redire, mais après tout c’est officiel, même si c’est discret. Le problème est que beaucoup d’élus ne s’en contentent pas et qu’ils en ajoutent, dépassant ces avantages, en faisant un pas vers l’illégalité plus fréquemment qu’on ne le dit et que je ne le croyais.
La lecture de la presse, autant que l’écoute des média audio et télévisuels finit par laisser une impression de cynisme et d’impunité qui justifient, au-delà du décalage entre les paroles du candidat en campagne et les actes de l’élu la désaffection des citoyens, dans les urnes et dans leurs intentions de vote favorisant l’émergence des extrêmes.
Nombre d’observateurs ont mis en garde contre le détachement des électeurs, mais si les abstentions augmentent d’un scrutin à l’autre, il y a des sursauts dans les votes des présidentielles et les élus politiques restent convaincus qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter tant qu’ils sont assurés d’être réélus.
Si plus de 70 % des électeurs ne font pas confiance aux politiques pour résoudre les problèmes qui se posent au pays, ils votent quand même pour la plupart. Cela ne sert pas d’avertissement pour renoncer à des privilèges criants d’injustice (indemnités de cessation de fonctions, retraites, réserves parlementaires pour les bonnes œuvres des parlementaires et le clientélisme, etc.) C’est parce que les sondages annoncent une montée importante du FN pour les prochaines élections, qui risque de mettre en cause certaines réélections et donc certaines majorités, que l’inquiétude gronde enfin, mais on se rassure vite en se persuadant que ce n’est que passager.
Il n’y a pas de mesures concrètes qui viennent répondre aux causes de désaffection. Les questions que tout le monde se pose sont triées en fonction du politiquement correct et ne sont traitées que celles jugées convenables et compatibles avec la morale du pouvoir… L’adhésion au non cumul des mandats est renvoyée à plus tard, malgré les engagements formels pris, car il ne faut pas renoncer aux avantages liés à cette situation et le Sénat a fait montre de cynisme en affichant son opposition… La publication des patrimoines des élus a été bien camouflée sous prétexte de vie privée pour des hommes et des femmes qui vivent dans le public et du public.
J’ai espéré longtemps que les partis politiques exercent leur esprit critique et proposent des mesures strictes pour en sortir, en conformité avec la mission que leur donne la Constitution. J’ai perdu tout espoir que cela arrive. Entre déontologie et intérêts particuliers, ces derniers gagnent chez les élus.
Entre droite et gauche on est capable de se rejeter mutuellement les accusations de responsabilité dans la montée du FN, mais on n’est pas capables d’analyser avec objectivité les raisons de ce rejet des électeurs, du manque de confiance dans le personnel politique. Personne ne veut s’interroger sur les causes d’adhésion à des idées populistes, qui se généralise et l’on minimise les affaires diverses et permanentes qui sont cause de cette méfiance. On s’aveugle avec de bonnes raisons pour ne pas voir la réalité.
Les condamnations de la justice viennent bien tard, avec l’Appel et la Cassation cela fait gagner des années qui permettent de rester en poste et de toucher les indemnités comme si rien ne s’était passé, en raison d’une bien commode présomption d’innocence, tant que la condamnation n’est pas devenue définitive. Puis la condamnation passée, on se fait réélire brillamment par une clientèle qui trouve normal les faits délictueux, condamnés, pourvu que les prébendes distribuées avec les fonds publics continuent de tomber.
Il faut constater que la démocratie ne permet pas d’éviter ces dérives et qu’elle ne peut résoudre les conflits extrêmes. Elle a alors recours à des hommes providentiels. Heureux quand ils ne deviennent pas des dictateurs !!!… Serions-nous arrivés à un ce des moments extrêmes ?
Je ne vois pas d’homme ou de femme d’État dans une classe politique usée jusqu’à la corde par les scandales et son non renouvellement malgré des échecs électoraux… Peut-être dans la société civile quelqu’un de suicidaire, qui sacrifierait son avenir politique à la réalisation des réformes rigoureuses indispensables et à l’instauration d’une éthique intransigeante pour les élus et les hauts responsables de l’administration !… par l’électrochoc indispensable ?…
Les gaspillages de l’argent public dénoncés publiquement, les dérives financières de l’utilisation des impôts doivent cesser. La corruption doit être punie sévèrement et sans délai. Les scandales dénoncés par les enquêtes de presse doivent servir à quelque chose. Les privilèges qui s’accumulent doivent se limiter à ce qui se justifie équitable.
Quel programme le proposera et, surtout, le réalisera dans un cadre démocratique sans passer par une crise telle qu’elle mette en cause la démocratie ?… Les populistes qui prétendent au leadership de l’opposition ne présentent aucune garantie et j’ai peur qu’ils ne soient pas investis de pouvoirs qui les dépassent. J’ai espoir du surgissement d’un personnage honnête et compétent : utopie ou malheur autocratique ?…
J’ai peur pour l’avenir de la démocratie et je pense au sort de mon mentor en politique Pierre Mendes-France, véritable homme d’État, qui ne tient que 7 mois au gouvernement, assommé par l’antisémitisme et les attaques personnelles alors qu’il était un parangon d’honnêteté.
J’ai peur pour la démocratie car, sans réforme de fond, elle s’enfoncera dans le discrédit et dans la reconnaissance cynique de l’individualisme, dans la prééminence des intérêts corporatifs et particularismes qui évitent l’intérêt général.
Si on invoque encore cet intérêt général c’est comme une incantation, mais on se complaît de plus en plus dans le chacun pour soi et la solidarité nationale disparaît, malgré des élans de participation aux quêtes humanitaires. L’émotion gagne et la raison disparaît. Les réussites d’hommes comme Silvio Berlusconi ont reposé sur l’admiration qu’il suscitait chez les italiens pour sa réussite personnelle : elle était admirée pour son habilité, en modifiant les lois qui le gênaient, pour s’accommoder et éviter des poursuites en justice.
Il ne manque pas d’observateurs ayant dit ce qui ne va pas. Il est possible même de voir des mouvements éphémères qui prônent des changements. Mais il n’y a pas de renouvellement de la classe politique et les propos lucides deviennent souvent des slogans pour accéder au pouvoir sans garantie de vouloir après : ayant obtenu pour soi les avantages que l’on dénonçait auparavant on préfère les garder.
Quelle sera la crise profonde qui fera émerger l’équipe providentielle capable de tout changer ? Faudra-t-il compter avec une révolution et ses excès pour repartir à nouveau sur des bases consolidées et des garanties démocratiques solides ?… Après la Révolution vint l’Empire…
Dans une société éclairée par l’instruction et par l’information va-t-on enfin pouvoir régénérer la démocratie et la sortir du clientélisme et de la corruption ? On n’a que les élus qu’on mérite, dit-on !…
Je suis pessimiste car même la montée des populismes n’entraîne pas la prise de conscience des réformes à faire ! On se contente de condamner moralement les électeurs qui se rallient au FN mais on ne fait rien politiquement pour renverser la situation.
Les prochaines élections permettront une avancée des populistes, qui leur donnera le tremplin utile pour les échéances suivantes. Continuons à faire de la morale, sans dire la vérité, dans le politiquement correct, abandonnant les piliers de la république et sans aborder les thèmes que tout le monde sait être importants et… continuons à accuser les autres de l’avoir provoqué sans nous ressaisir nous-mêmes et… l’avenir dira quand ce sera trop tard pour défaire ce que l’on aura contribué à faire !
Raymond Beltran
11 décembre 2013
Société laïque
http://www.republicains-laiques-audois.org/
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2 Commentaires
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la faute à qui ?
la défense des libertés est un combat permanent
Ce n’est pas en votant des motions qu’on va changer la situation
Parole sans action égale zéro
Comme le rappelle Raymond, la démocratie est devenue l’horizon indépassable de notre époque. libres penseurs, il nous appartient de
toujours préciser notre vocabulaire, ne serait ce que favoriser la liberté de conscience.
Qui dit démocratie pense au gouvernement direct du peuple par le peuple. De fait,
l’étymologie ne dit pas autre chose (en grec dêmos signifie le peuple, kratos, le pouvoir).
Selon VERNANT, la déesse STYX, du camp des TITANS, avait rejoint ZEUS avec ses deux enfants :
KRATOS qui représente le POUVOIR de DOMINATION, pouvoir de souveraineté universelle, (placé à la
droite de ZEUS quand celui-ci se déplace)
BIÉ incarne la violence brutale qui s’oppose à la ruse (MÉTIS).
Aux environs du VIe avant Zephiros, les Athéniens ont institué la démocratie, cette forme de gouvernement par le peuple, où les points de vue
opposés peuvent s’affronter publiquement sous la forme de discours.
Cette invention du débat contradictoire a été ensuite utilisée par les Grecs dans les domaines de la pensée, en particulier la
philosophie qui consistait, à l’origine, en la discussion. C’est à la même époque que naît la rationalité occidentale.
Les mots ISONOMIA (l’égalité des chances) et PARRÈSIA (liberté de parole) ont précédé celui de DÉMOCRATIE pour en étoffer le principe.
Les Grecs entendaient par égalité, le droit pour tous à participer aux décisions politiques. EURIPIDE l’exprime ainsi : « la liberté est dans ces mots : « Qui veut, qui peut donner un
avis dans la cité ? » Alors celui qui veut parle et l’autre se tait. Est-il plus belle égalité ? » Dans ce texte le premier mot est « liberté » et le dernier «
égalité ».
Née de la TYRANNIE, la DÉMOCRATIE est fondée sur la parole : donnant le pouvoir à tous par le droit à parler, elle consacre donc ce droit par la
loi qui veille aux institutions de la cité tout en luttant contre la violence. DÉMOSTHÈNE considérait la loi comme une défense contre le droit du plus
fort. L’existence des lois fut reconnue comme la condition de la démocratie. Cette obéissance aux lois est liberté et l’absence de lois est tyrannie. En fait, ces lois
n’étaient que des règles générales d’ordre public.
Cette démocratie n’était pas fondée sur la forme directe. Le peuple athénien n’intervient pas dans la préparation et l’exécution des décisions prises par l’assemblée ; son
pouvoir se limite à élire des magistrats et à leur faire rendre compte de leur gestion des affaires de la cité. Les charges étaient effectives ou attribuées selon un système mixte de
tirage au sort et d’élection ; et les citoyens avaient le droit de vote et celui de présenter des propositions dans les assemblées populaires. De fait, l’assemblée ne réunissait
qu’une fraction des citoyens (6 000 en moyenne sur les quelques 30 000 que comptait la cité.)
La démocratie grecque est ce régime d’une société dont toute l’organisation et l’économie reposent sur l’esclavage. Pour ARISTOTE, un
esclave était « outil parlant ». de plus, elle exclue les femmes de la participation à la vie publique. Dès le VIéme siècle, à Athènes, le mouvement démocrate contenait un fort courant
revendicatif quant à l’abolition de l’esclavage, avec à sa tête, entres autres, EURIPIDE.
Les penseurs politiques influents de la fin du V siècle et du IV siècle avant Zephiros. se méfiaient de la démocratie. PLATON, XÉNOPHON, ISOCRATE et ARISTOPHANE : tous y étaient opposés, et
ils ne cessaient de vouloir révéler son caractère dévoyé et excessif. Le peuple était synonyme de racaille !
Le mot grec POLITÉA, que nous traduisons par « constitution », recouvrait un sens beaucoup plus large et impliquait les façons de vivre, les mœurs et même les valeurs.