Transhumanisme : l’utopie technologique de la domination de l’homme par l’homme

14 Fév 2019

 Mark O’Connell est parti à « l’Aventure chez les transhumanistes » et il y a rencontré des cyborgs, des techno-utopistes, des hackers et des théoriciens de la cybernétique, tous ceux, dit-il, qui veulent résoudre le problème de la mort, de l’immortalité et de l’amélioration de l’humain.

Aventure chez les transhumanistes de Mark O’Connell,

L’ Échappée, 20€

 En exergue, l’auteur cite cette réflexion de Don DeLillo :  « La technologie est la luxure privée de tout lien avec la nature ». Rude saillie qui décrit assez bien l’obsession des transhumanistes et de leur projet d’homme augmenté basé sur le postulat selon lequel : « L’existence humaine est un système qui laisse à désirer », en foi de quoi l’humain peut et doit être amélioré. Ce projet plus faustien que prométhéen usera de moyens technologiques dont « l’émulation du cerveau ».

Toute les technologies et approches des transhumanistes visent l’immortalité, la négation radicale de la mort, jugée indécente. L’immortalité est donc la nouvelle frontière. Pour ce faire, selon Max More, un chercheur de Phoenix, il s’agit de troquer son enveloppe corporelle pour une multitude de corps physiques virtuels sorte de reductio ad absurdum où l’enveloppe humaine serait remplacée par une structure anthropomorphe, autrement dit, extraire l’esprit humain de sa prison de chair pour l’enfermer dans un artefact réparable à l’infini. Triste conception de l’immortalité qui implique la réduction de l’individu à une collection de bits. « Si une existence limitée dans le temps était futile, alors l’immortalité ne serait-elle pas synonyme d’infinie futilité ? », s’interroge non sans humour O’Connell.

 Transhumanisme : un corps de chair, une âme de bits ?

Un problème crucial se pose : le cerveau, fait de neurones et des connexions synaptiques, ne cesse de se réorganiser grâce au traitement de l’information qu’il reçoit pour reconfigurer sa structure et sa fonction, ce qui entraîne une perpétuelle intégration de l’information à la matière cérébrale, la fameuse plasticité du cerveau. Question : les composantes d’un ordinateur seront-elles à la hauteur, connaîtront-elles un processus comparable à la neurogenèse ? Ce n’est pas établi, même si le deep learning prétend le contraire en s’appuyant sur la notion d’apprentissage. (Cf/ la performance d’Alphago)[1]

Cela débouche sur la question de l’ego. Si l’extraordinaire complexité de mes circuits et processus neuronaux sont cartographiés et simulés, puis déposés ailleurs que dans le 1,5 kg de tissus nerveux et gélatineux de ma matière cérébrale, serai-je encore « moi » ?[2] Mon ego y survivra-t-il ? Autrement dit, dois-je abandonner cette idée commune qu’une personne – moi en l’occurrence – est indissociable de son substrat de chair et de sang, ce qui renvoie à la dialectique corps-esprit.

Le transhumanisme en séparant l’esprit du corps réintroduit subrepticement la vieille doctrine gnostique qui fait du corps la prison renfermant le mal. Le religieux pointe son nez.

Vaincre la mort… chez les riches ?

La mort est l’ennemi à vaincre. Elle perd sa dimension philosophique et devient un défi technologique, car il s’agit d’aller plus vite que la « vitesse d’échappement de la longévité ». Ce postulat pose que les progrès rapides de la technologie nous permettront d’atteindre un seuil décisif au-delà duquel nous gagnerions chaque année un peu plus d’espérance de vie et ainsi maintiendrions-nous la mort à distance. Pour l’éternité ? Telle est la question. Il faudra évidemment mettre en place des protocoles ad hoc, réservés à une élite fortunée, débouchant sur une forme d’eugénisme en creux, par défaut de fortune.

Théodore Adorno et Max Horkheimer n’étaient pas dupes quand ils écrivaient dans « Dialectique de la raison » : « De nos jours, la rationalité technique est la rationalité de la domination même. Elle est le caractère coercitif de la société aliénée ».

Tout au long de l’ouvrage, Mark O’Connell s’inquiète de la singularité technologique, se demandant si son règne n’a pas commencé. « L’expression désigne, dit-il, un avenir dans lequel l’intelligence des machines surpassera allègrement celle des humains qui les ont créées, actant définitivement la fusion entre la vie biologique et la technologie ». Est-ce le cas ? Au lecteur de se faire une opinion

[1]      Cet ordinateur à battu un champion du jeu de go.

[2]      La question est d’importance même si certains scientifiques physicalistes prétendent que l’ego en tant « qu’esprit » est une illusion.

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