Noël alsacien : la laïcité bafouée
25 décembre 2013 | Par Pascal Maillard Article paru dans MEDIAPART
L’exception concordataire d’Alsace-Moselle n’est pas un gage de concorde. Une « fausse note » dans les Noëlies alsaciennes montre exemplairement que le droit local peut servir à bafouer le principe républicain de la neutralité des établissements publics.
L’affaire aurait pu rester dans l’ombre sans l’alerte lancée par un habitant de Drusenheim dont l’enfant est scolarisé à l’école élémentaire municipale de cette petite ville du nord de l’Alsace. Le 9 décembre au matin, conduisant son enfant à l’école, il découvre avec stupeur que la façade du bâtiment est tapissée de dix reproductions de tableaux religieux, de très grand format (2X3 mètres), essentiellement des nativités. L’exposition se prolonge sur l’église attenante par deux affiches supplémentaires, ce qui crée une unité physique et symbolique particulièrement forte entre un lieu de culte et un établissement public.
Faisant valoir le principe de neutralité des administrations publiques, le parent d’élève demande au maire, qui est à initiative de cette « exposition », que les affiches soient retirées. Il saisit également le médiateur de l’académie, lequel s’estime incompétent dans une telle affaire. L’inspection académique s’appuie quant à elle sur le « droit local ». On peut en effet lire dans un article des DNA du 11 décembre cette position confondante : « Il n’y a pas lieu de s’émouvoir de ces affiches. Il y a des croix dans les salles de classe, des cours de religion. C’est le droit local ». C’est aller un peu vite en besogne : ni le cadre juridique du concordat de 1801, ni les articles organiques qui en découlent et qui régissent l’enseignement de la religion dans les écoles d’Alsace-Moselle, n’autorisent un affichage à caractère prosélyte sur les façades des établissements publics.
De son côté, le maire fait valoir la dimension artistique de l’exposition. Cet argument ne tient pas : il n’existe aucun dispositif qui signale une exposition culturelle. Et je doute fort qu’il aurait pris le risque d’exposer ces affiches religieuses sur sa propre mairie. Les imposer sur une école est tout aussi grave, et certainement davantage si l’on considère la Charte de la laïcité en vigueur dans l’Education Nationale. L’article 6 de cette charte, affichée dans tous les établissements scolaires, stipule que « La laïcité de l’Ecole … protège les élèves de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix ». A cette heure ni le Rectorat, ni l’Inspection académique ne sont intervenus pour rappeler l’existence et le sens de cette charte. Ils n’ont pas non plus réagi aux diverses interrogations et interventions d’associations, de syndicats ou de partis politiques. L’Etat serait-il absent de la région Alsace?
Ce silence est tout aussi inquiétant que celui des médias qui ne jugent certainement pas opportun d’introduire une fausse note dans l’œcuménisme des fêtes de Noël. La seule « fausse note » dont il est question dans les Dernières nouvelles d’Alsace est relative aux lieux de culte : il faudrait éviter qu’églises et temples servent à des manifestations « trop culturelles ». On oublie de s’interroger sur l’usage qui est fait des écoles publiques, où les manifestations « trop religieuses » ne semblent pas poser de problèmes aux alsaciens, ni aux autorités locales. Dans le cas de Drusenheim, le principe de la laïcité est allègrement bafoué. Le traitement du sujet par France 3 Alsace, distant et humoristique à souhait, ne prend pas la mesure de la gravité de la question. Ce reportage est très révélateur.
Pendant ce temps le courageux parent d’élève subit des intimidations. Il vient de porter plainte suite à la réception d’une lettre anonyme qui le menace, lui et sa famille.
Il paraît que le gouvernement entend garantir « la sanctuarisation de l’école » de tout « prosélytisme », selon sa porte-parole, Najat Vallaud-Belkacem. « Nous sommes attachés à lutter contre le prosélytisme religieux, indéniablement. Donc, tout ce qui pourra nous sembler relever de ce prosélytisme religieux, y compris venant de personnes qui ne sont pas agents du service public, nous le combattrons », a-t-elle insisté. Drusenheim est une occasion unique de mettre en pratique ces bonnes résolutions et d’exiger en haut lieu que le Préfet du Bas-Rhin et le Recteur d’académie agissent dans le sens d’un respect strict de la loi.
Pascal Maillard
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