Finasseries

24 Fév 2016

Dans la livraison de février/mars de « Manières de voir », supplément du Monde Diplomatique, Paul Valadier, jésuite et directeur de la revue Archives de la philosophie, signe un article intitulé : « La laïcité face aux fondamentalismes » dans lequel il se livre à une analyse assez orientée de notre société confrontée à un problème devenu très prégnant.

«Le cadavre bouge encore, et même tout à coup prend une allure menaçante», ainsi commence l’article où il s’en prend aux « amalgames qui confondent tout et suscitent intolérance et aveuglement d’autrui, d’où : « la volonté d’imposer à autrui des valeurs ou des croyances contre son gré (…) la tentative de plier autrui à sa propre loi dans des domaines où il n’en veut pas ». On notera l’ambivalence du propos qui renvoie laïques et croyants dos à dos, sauf que le laïque n’a rien à vendre en termes de « croyances », ce que Valadier feint d’ignorer. Cependant, poursuivant son observation, il pointe : «… la susceptibilité fiévreuse devant toute critique adressée à la religion » dont il pense « qu’elle engendre une impatience devant la liberté d’expression jugée intolérable, d’où des demandes d’interdits ». En filigrane, ce conseil : cessez de nous critiquer, on vous laissera tranquilles et les fondamentalismes disparaîtront .

Il reconnaît néanmoins que des critiques sont aussi adressées à la laïcité, critiques dont le but est de contester les fondements philosophiques et démocratiques de l’état moderne. Depuis les propos radicaux de Joseph Ratzinger (le futur Benoît XVI) « … il faut que l’état se réfère constamment à son fonds chrétien », se profile, écrit-il, « une mise en cause radicale du fondement laïque de l’état pour lui substituer une base chrétienne, selon laquelle l’autorité ecclésiastique serait en droit de jouer un rôle d’interprète authentique, en particulier sur la morale ». S’il concède qu’une telle posture contredit l’essence même de l’état laïque, il n’en enchaîne pas moins sur le ras le bol que suscitent les critiques et les persiflages adressés au christianisme qui provoquent, dit-il : « une accumulation de blessures portant sur les valeurs les plus fondamentales (et qui) finit par provoquer des réactions collectives violentes ». Condamne-t-il cela ? Loin de là ! Il préfère reprocher l’intolérance supposée du rationalisme critique.

Il détecte alors une suite de « nouveaux problèmes » auxquels sont confrontées, selon lui, nos sociétés. Et d’abord l’irruption de l’islam qui « pose en termes neufs la question des racines de notre identité nationale, et cette identité ne peut faire fi du christianisme qui a imprégné notre histoire ». Et voilà ressorti à point nommé le vieux mantra des racines chrétiennes, qui tant plaît au Vatican et, de manière plus large, aux mouvances politico-catholiques françaises. Qu’il soit permis, sans en nier les traces, au rationaliste de rappeler les racines grecques qui nous ont donné la philosophie, les racines romaines le droit, les racines celtes, la métallurgie, les Lumières la liberté de penser et de conscience. Notre héritage est riche de tous ces legs, il convient de s’en souvenir pour ne point en isoler un seul parce que ça arrange un discours devenu antienne et leitmotiv.

Autre problème décelé par le RP : l’inculture religieuse qui serait une calamité. On voit bien ce qui se cache derrière ce constat et où cela peut conduire. Il pose d’ailleurs la question : « Que veulent donc les églises : une vraie culture religieuse ou un moyen de se réintroduire dans l’école publique ? Combler les lacunes de la connaissance ou retrouver une position sociale dominante ? ». Il semble que la réponse soit dans la question, mais P Valadier se garde bien d’y répondre.

Un autre problème est identifié : l’éthique. Il semble que, pour lui, la morale laïque n’en soit pas vraiment une, alignée qu’elle est sur le « vieux principe de la science émancipatrice et les techniques libératrices », aussi le RP redoute-t-il l’opposition science vs religion pour poser cette autre question, laissée, elle aussi, en suspens : « Comment, du point de vue des églises, ne pas être tenté de penser qu’une gérance sur la société reste possible, et apparemment souhaitée (sic) par beaucoup, au moins par le biais de la morale ? ». Là encore, et les deux dernières propositions relatives le montrent, la réponse est sous-jacente. Du reste, P Valadier oppose plus loin deux sortes de laïcités : l’une positive et neutre (bel oxymore !), l’autre négative et agressive, curieusement traitée de « première manière », dont il dit que si elle devait perdurer et se durcir encore : «(elle)  rendrait incapable de résoudre les problèmes soulevés par le développement même de nos sociétés ». Puis arrive la suprême accusation, l’imparable couperet : [La laïcité] … empêchant les religions d’entrer dans la vie et le débat démocratiques ferait le jeu des extrémismes et des fondamentalismes en leur sein ». Magistrale pirouette, renversement de l’argument : la laïcité engendrerait extrémismes et fondamentalismes ! On croit rêver.

Poursuivant l’assaut, Valadier écrit : « … car la laïcité demeure le rempart le plus sûr contre la montées des intolérances ». Ah bon ? Mais alors laquelle ? La laïcité ouverte évidemment ! Démonstration : « L’état moderne doit rester neutre quant aux fins, et n’imposer aux citoyens aucune religions ni aucune philosophie officielles (d’accord jusque là), mais il ne peut ignorer les fins que les citoyens se donnent ». Les citoyens n’ont-ils pas la liberté d’infléchir la société par l’action politique et le bulletin de vote, plutôt que par les manifestations religieuses, injonctions et autres procédés de propagande ? Cette question là, P Valadier se garde bien de la poser.

Il insiste, il veut une laïcité ouverte (ou béante?) car : «  la référence religieuse ou mythique peut aider la raison à éviter la sécheresse et s’ouvrir à l’altérité droitement entendue ». Belle formule ! Aussi peu convaincante que possible, puisqu’elle postule la quasi inhumanité (la sécheresse) de la raison, ce qui est une petite musique bien trop souvent serinée, qui suggère l’impossibilité de toute morale laïque. C’est la vieille lune de toutes les religions qui s’énoncent seules détentrices de la morale.

Et de conclure par un appel à la vigilance conseillant aux laïques d’abandonner la nostalgie qui les empêche d’apercevoir les « données nouvelles » et aux croyants de se garder du « vertige de l’intolérance ».

Trois pages d’une publication prestigieuse pour expliquer, faussement inquiet, que l’extrémisme religieux est engendré par la laïcité « première manière » ce qui laisse à penser qu’il y en aurait une deuxième, plus apte à comprendre les religions et en premier lieu le catholicisme suavement mêlé à l’identité nationale, dont il serait le principe fondateur. On n’en est pas aux sept laïcités de Jean Baubérot, mais la démarche est claire, bien que relevant de la finasserie la plus achevée, il faut réformer la laïcité, l’ouvrir. Que sais-je encore ?

La thèse de Paul Valadier est certes moins brutale que la déclaration du 10 mars 1925 de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France qui assénait que « Les lois de la laïcité sont injustes parce qu’elles sont contraires aux lois formelles de Dieu. […]. Elles tendent à substituer au vrai Dieu des idoles (la liberté, la solidarité, l’humanité, la science etc.) […]. Elles sont injustes parce qu’elles sont contraires à nos intérêts temporels et spirituels. […]. Dès lors, les lois de laïcité ne sont pas des lois […]. Il ne nous est pas permis de leur obéir. ». 90 ans se sont écoulés, mais la laïcité demeure la détestation du religieux et notamment du catholicisme, les attaques perdurent, même si elles sont moins frontales. Encore que…

Oyez plutôt cette interview, donnée au Figaro le 24 décembre dernier par le cardinal Barbarin : « À ma connaissance, les responsables politiques n’ont pas pour mission de changer la société, ni la civilisation, encore moins la nature humaine, la responsabilité qui leur est confiée, c’est de donner à la société les meilleures conditions d’une vie commune : l’emploi, la santé, la sécurité, l’éducation, les transports, de sorte que chacun ait la liberté et les moyens de réaliser sa vie et les projets qui lui tiennent à cœur. ». Cf/ Paul I Romains-13-1 : »Que toute personne soit soumise… »

Barbarin oublie-t-il que la France est une seule communauté nationale, quelle que soit son peuplement, une communauté de destin organisée autour des valeurs républicaines, lesquelles ne nient pas les valeurs religieuses, elles, parce qu’elles pensent que sa devise: liberté, égalité, fraternité les transcendent ? De fait, l’Église catholique ne s’est jamais faite à sa perte de prééminence tant sur le plan spirituel que sur le plan matériel. Elle veut toujours substituer aux valeurs laïques et républicaines les siennes propres, censées avoir recueilli l’onction divine…

« Notre Père qui êtes aux cieux / Restez-y /Et nous nous resterons sur la terre / Qui est quelque fois si jolie / Avec ses mystères de New York / Et puis ses mystères de Paris / Qui valent bien celui de la Trinité… »

Il ne semble pas que cette poésie de Jacques Prévert, intitulée Pater noster, ait la moindre chance d’intégrer la pensée de l’Église. Pourtant, elle devrait sortir une fois pour toute du double jeu dans lequel elle se complaît depuis qu’elles feint d’accepter le fait laïque. Renoncera-t-elle un jour à se mesurer à la République avec l’espoir de la terrasser ou, à tout le moins, de la pénétrer assez substantiellement pour la guider vers cette société où le religieux redeviendrait roi ?

Pour finir, rappelons cette autre finasserie à laquelle se livre l’Église catholique :

Un ami m’a fait passer ceci, tiré d’un article de l’Express : « Un document rédigé par l’Église catholique explique aux nouveaux évêques qu’ils ne sont pas « nécessairement » dans l’obligation de signaler à la police les cas d’abus d’enfants par des prêtres. L’Église catholique explique à ses nouveaux évêques qu’ils ne sont pas tenus de dénoncer à la police les cas de pédophilie. Elle souhaite en effet laisser ce rôle aux victimes elles-mêmes et à leurs familles. En fonction des lois de chaque pays, où la dénonciation peut être obligatoire, «  les évêques n’ont pas nécessairement le devoir de dénoncer les suspects aux autorités (…) lorsque ils sont informés de crimes ou d’actes constitutifs de péchés », précise le texte.

Quand on compare ce texte avec les prises de positions du pape François, on mesure ce qu’il faut bien appeler un grand écart, à moins que le terme de finasserie soit là encore parfaitement pertinent.

Gilles Poulet

Février 2016

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