Globish et novlangue outils privilégiés du néolibéralisme

14 Jan 2019

L’emploi de ces sabirs a une double utilité. La première, permet d’entretenir une certaine obscurité, et la seconde tente de camoufler un véritable mépris pour ces « gens qui ne sont rien », qui « puent le tabac et l’alcool », bref, qui ne sont pas « des premiers de cordée ». Ce sont les langages privilégiés du néolibéralisme.

Florilège de novlangue, mâtinée de condescendance et de mauvaise foi

« La différence de langage entre beaucoup de Français et leurs dirigeants est un accélérateur de la crise. Le ressenti de mépris quand on ne comprend pas un discours ou une mesure [donne] le sentiment d’être ignoré », Renaud Pila, cité par le Monde Diplo. Quel aveu !

De Raphaël Enthoven, commentant un agenouillement de solidarité envers les lycéens qui y furent contraints par la police : « J’appelle connard celui qui s’agenouille sans qu’on l’y contraigne… ». Il lui arrive à ce philosophe d’être plus fin.

Du président du groupe LREM au palais Bourbon, Gilles Legendre : « Le fait d’avoir été probablement trop intelligents, trop subtils, trop techniques […] manifestement ça n’a pas été compris. » Décomplexé le gaillard. Traduisons-le : « Cette bande d’abrutis ne comprend rien à rien, cessons donc de nous montrer trop intelligents, ils ne le méritent pas ».

Et celle-ci, de Pascal Brukner, qui vaut le détour : « L’alibi de la justice est souvent le paravent des passions les plus basses : l’envie, la jalousie et la haine impuissante, comme disait Stendhal. »

Et pour la bonne bouche : de la ministre des Transports, E. Borne qui veut offrir aux cheminots « le sac à dos social » propre à les calmer.

L’intelligentsia française dans ces (bonnes) œuvres. Et on s’épargnera des saillies des Apathie, Barbier et autres grands prêtres médiatiques, tous plus diserts les uns que les autres au point qu’on pourrait se demander s’il n’y aurait pas un concours d’inélégance et de brosse à reluire.

La novlangue un délire sémantique

Le délire sémantique, engendré par la novlangue, n’a pas de limite : pour dire d’une part que les heures sup. seront exemptées de cotisations sociales, on dit qu’elles seront « désocialisées » et d’autre part, les cotisations ne peuvent être que des « charges ». Les lois nous sont communiquées maintenant sous l’aspect quelque peu rebutant de sigles hermétiques à souhait : loi EGALIM, pour une loi sur l’alimentation, LOM, pour une loi sur la « mobilité ». « Mobilité » étant d’ailleurs un vocable mis à moult sauces pour ne parler quand même que d’actions où l’on se déplace assis ! Loi NOTRE, une loi de décentralisation reformulant les compétences des territoires et de leurs élus, parfaitement opaque aux administrés et accessoirement pas trop claire pour les élus.

Le linguiste Patrick Charaudeau, un connaisseur, confie à Marianne : « Macron s’inscrit dans une tactique de discours classique, qui présuppose que les gens ne comprennent pas réellement la politique. On peut donc jouer sur le flou, le non-dit, et rester dans un univers de discours qui n’est absolument pas ancré dans le concret ». C’est le lot quotidien des hommes et des femmes de pouvoirs qui utilisent tous cette tactique et les désormais célèbres « éléments de langage », proches de la litanie et de l’antienne.

Le globish est un mauvais usage de l’anglais qui parasite les langues en les créolisant

Le globish est un Objet Linguistique Non Identifié (OLNI), parce qu’il est de la même catégorie que les créoles, c’est-à-dire qu’il s’incruste dans les langues du lieu où il se déploie, le globish, disé-je, est sans grâce, régulièrement francisé par le locuteur lambda. Cherche -t- on une info sur la toile (le net) ? la trouver c’est « matcher », verbe créé et du premier groupe. L’histoire de la prise de pouvoir de tel ou tel est une « story telling » ; d’ailleurs le gagnant s’empresse de mettre en place une « task force » pour conforter son projet démocratique « bottom-up » qui rendra chacun « bankable », car on aura éliminé le « working poor », pour autant que les citoyens se soient mués en « followers » « addicts », écartant les « fake news » et les « hoax » pour préférer les « alternative facts », distillés sur leur « news letter » par un « bot ». Avez-vous besoin d’argent ? Le « crowfounding » y pourvoira peut-être, ainsi pourrez-vous exécuter votre « shopping list » en vous rendant au « show-room » de votre hyper à moins que vous ne préfériez un « marketplace » parce que « Cdiscount ». Les « cookies » ne sont plus des gâteaux, vous « linkez » à tout va, consultez les « wikileaks » et si ça vous plaît, vous « likez », Google ne s’en porte que mieux.

Un épouvantable jargon facteur d’acculturation

Cet épouvantable jargon qui fait si chic, car mieux vaut une « flat tax » qu’un prélèvement forfaitaire unique (encore que PFU ne soit pas mal non plus en termes de camouflage), n’est qu’un outil d’acculturation et, c’est son utilité, la marque de l’impérialisme culturel étasunien. Chacun prendra ses responsabilités, pour ma part, je me range au nombre des défenseurs de la langue française, qui dispose pratiquement de tous les mots adéquats pour décrire le monde et les choses.

Je ne suis pas buté, je comprends parfaitement que certains mots se forgent loin de nous, donc dans une autre langue, et qu’il n’est pas scandaleux de les adopter quand il n’y a pas d’équivalent parfait ou seulement possible, mais franchement, dire d’un individu qu’il est « border line » pour le décrire en marginal ou à la limite du « politiquement correct » est stupide ou snobinard, pour autant qu’il y ait une nuance entre ces termes. Beaucoup de mots techniques, n’en déplaisent aux adorateurs du globish, trouvent une traduction que l’inventivité des usagers finit toujours par trouver, quitte à passer par la francisation. Il en est de même pour le sabir managérial forgé par ce que notre monde ultralibéral a de plus détestable et méprisant (la Ressource Humaine), sans parler du vocabulaire financier qui atteint des sommets inaccessibles au commun des mortels.

Les langues vivent d’échanges et parfois d’allers et retours, mais il est constant qu’à la toute fin se produit une appropriation avec les modifications phonétiques et orthographiques que cela implique. Ce qui est inacceptable, c’est la soumission à un impérialisme desséchant et à un snobisme émaillé d’anglicismes. À moins que ce ne soit la marque d’une certaine paresse d’esprit.

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