Hommage à Aristide BRIAND
Aujourd’hui nous renouons avec une tradition qui s’est interrompue il y a une dizaine d’années. Auparavant, chaque année, les Libres Penseurs de l’Eure, en la personne notamment de leur président Manuel FERNANDEZ, venaient honorer ici la mémoire d’Aristide BRIAND. C’était une cérémonie discrète. Manuel était accompagné d’un ou deux camarade(s) pour venir déposer une gerbe au pied de ce monument, sans extériorisation. Aujourd’hui, alors que la question de la Séparation des Eglises et de l’Etat se pose avec une acuité retrouvée, nous avons voulu rendre cet hommage un peu plus solennel. Certes, il n’y a pas foule ce matin, mais nous avons tenu à ce que cet acte soit public. Merci encore à vous tous de votre présence et notamment à nos camarades des Yvelines et à leur président Jack BOUETEL. Jacky, tu as retracé de façon exhaustive la vie et l’œuvre d’Aristide Briand, cet artisan essentiel de la loi du 9 décembre 1905, ce qui m’épargne la peine de le faire.
Avant de parler un peu moi aussi d’Aristide BRIAND, je voudrais dire quelques mots de l’acronyme ALPABE. En 2009, avec trois camarades, nous avons créé l’association et « ALPABE » ça nous a semblé un nom sympathique et euphonique. C’était dans la lignée de beaucoup de groupes de Libres Penseurs qui se sont constitués depuis 1995 : l’ALPI (Isère), l’ALPAM (Alpes Maritimes), l’ALPY (Yvelines). ALPABE, c’est donc Association des Libres Penseurs Aristide Briand de l’Eure. Mais le nom est venu après l’acronyme. Nous avions également pensé à Ass des L. P. Adolphe Barrette de l’Eure. Adolphe BARRETTE était un maire de Vernon du début de la 3ème République, rad soc très anticlérical qui a construit la mairie de Vernon. Il l’a délibérément placée en face de la collégiale, sur une butte, de telle façon que, avec le paratonnerre, le bâtiment civil soit juste un peu plus haut que l’édifice consacré à la « superstition religieuse ». En fin de compte, nous avons opté pour cet autre Eurois, Aristide Briand, tout simplement parce qu’il est tout de même plus célèbre et que son œuvre laïque est d’une autre dimension (et puis il est vrai qu’Adolphe est un prénom qui ne nous plaisait guère).
Maintenant, c’est également au titre de l’ADLPF, la structure nationale que j’ai l’honneur de présider, que je m’exprime. Aristide BRIAND est l’un de nos grands anciens, au même titre que Jules FERRY, Emile COMBES, Ferdinand BUISSON, Marcel SEMBAT ou encore Marcellin BERTHELOT. Tous ces grands noms ont fait la gloire du mouvement libre penseur, sous la 3ème République, à une époque où l’Eglise catholique en France était dominatrice et totalitaire. C’était l’âge d’or du combat anticlérical de la Libre Pensée qui a compté alors jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’adhérents. Plusieurs de ces grands hommes ont été des présidents ou des responsables importants des mouvements de Libre Pensée.
Nous sommes fiers de leur héritage. Nous sommes fiers d’être leurs héritiers. Jules FERRY est l’homme de l’enseignement public, laïque, obligatoire et gratuit. Emile COMBES est le Président du Conseil qui a mis au pas les congrégations religieuses et qui a libéré la République Française du joug du Vatican. C’est à ces titres que nous les honorons et les respectons. Pour autant, les Libres Penseurs que nous sommes n’ont pas de gourous. Ces grands hommes ne sont pas pour nous des saints, fussent-ils des saints laïques. Comme tous les hommes, ils ont leur part d’ombre. Cela ne nous empêche pas de leur rendre hommage pour leur œuvre laïque, œuvre d’émancipation humaine.
Eh bien, c’est exactement la même attitude que nous avons à l’égard d’Aristide BRIAND. En faisant voter la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat, il a véritablement fondé la laïcité de l’Etat au plan institutionnel. La liberté de conscience était enfin pleinement reconnue.
Certains de nos camarades, je pense par exemple à ceux de Lyon, ont préféré faire référence à un autre personnage. Leur groupe a pour nom le Cercle Maurice Allard des Libres Penseurs du Rhône. Maurice ALLARD a été un adversaire d’Aristide BRIAND pendant la discussion de la loi de Séparation. Il considérait que le projet de BRIAND n’allait pas assez loin et qu’il faisait la part trop belle à l’Eglise catholique.
Il est vrai que cette loi n’est pas parfaite. Elle n’a d’ailleurs jamais été totalement respectée. Et pourtant, nous la défendons bec et ongles. Nous dénonçons toutes les attaques qu’elle continue à subir. Nous fustigeons la prétention de la « dépoussiérer », comme disent ses adversaires, c’est-à-dire de la vider de sa substance, car pour nous elle est essentielle en ce sens qu’elle consacre, je l’ai dit, la liberté de conscience. La liberté de croire et celle de ne pas croire sont à égalité. Elles sont du ressort de la sphère privée, de l’appréciation individuelle. L’Etat n’a pas à prendre parti. Ainsi, il permet tout autant la liberté de pratiquer son culte et d’exprimer ses sentiments religieux, que la liberté de s’exprimer contre la religion. C’est une loi équilibrée, une loi de compromis. Aristide BRIAND n’a pas voulu que l’Etat se présente comme athée ou anticatholique, mais simplement qu’il soit placé en dehors de ce domaine qui est celui de la conscience de chacun.
Frigide BARJOT, la très réac catho branchée passionaria du clergé homophobe, écrivait, en 2010, dans un journal catholique intégriste, que « la loi de 1905 est une loi qui, au nom d’un laïcisme de combat d’inspiration maçonnique, a maquillé son antichristianisme ». Il n’en est rien. La laïcité, c’est la liberté pour tous, donc aussi pour les adeptes des religions et même y compris pour les adversaires de la laïcité. Frigide BARJOT déclarait encore : « On ne peut nier que le message chrétien est le seul susceptible de donner sens à la société. Il faut donc le remettre au centre de la vie publique ». Eh bien non, Madame la catho intégriste. Le message chrétien, comme aucun message d’aucune religion, n’a pas à être placé au cœur de la vie publique. On ne fera pas tourner à l’envers la grande roue de l’Histoire. On ne reviendra pas à l’Ancien Régime où il n’y avait qu’une seule religion possible et où on pouvait être mis à mort pour cause de blasphème ou d’impiété.
Et cela, c’est grâce à l’œuvre de personnages illustres comme Aristide BRIAND. Voilà ce que nous lui devons. Aujourd’hui, il convient de poursuivre son œuvre et son combat en agissant pour que la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat ne subisse plus d’altération, pour que soient constitutionnalisés ses principes exprimés dans ses deux premiers articles
- La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes.
- La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte.
Nous agissons aussi pour que cette loi puisse s’appliquer sur l’ensemble du territoire national, y compris en Alsace et en Moselle.
Avant de terminer, je souhaiterais associer à cet hommage cet autre grand législateur que fut Henri CAILLAVET. 81 ans après Aristide BRIAND, presque jour pour jour, a disparu celui qui a donné son nom à la loi sur la greffe d’organes, qui a lutté pour qu’on puisse vivre sa mort dans la dignité, celui qui fut le plus ancien, le plus célèbre et le plus efficace des adhérents de l’Association des Libres Penseurs de France.
Le souvenir de Henri, comme celui d’Aristide vivra dans la mémoire de tous les humains épris de liberté et de dignité, comme nous voulons que
Vive la République démocratique, sociale et laïque !
Denis PELLETIER
Président de l’ADLPF
Le 3 mars 2013
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